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courtisans qui peuplaient sa solitude. Un jour, elle consentit à se laisser conduire dans une conversazione où devait se trouver aussi il caro Sassone. Celui-ci, très modeste dans sa contenance, était resté inaperçu dans un coin une partie de la soirée, lorsqu’on le pria de chanter un morceau de sa composition. Il se leva, s’approcha du clavecin et chanta de sa belle voix de ténor un de ces airs tendres qu’il composait si bien, puis il termina la séance en jouant avec une grande habileté je ne sais plus quelle sonate de Bach ou de Scarlati. La Faustina, qui l’avait écouté avec beaucoup d’attention et qui ne l’avait pas quitté du regard, se dit tout bas, en femme qui n’a qu’à former un désir pour le voir satisfait : Questo sarà mio sposo, et le mariage eut lieu en effet peu de temps après cette heureuse rencontre. Hasse donna à sa femme pour Morgengabe, c’est-à-dire pour cadeau de noce, un beau rôle dans le premier opéra qu’il écrivit pour elle, Dalisa, et qui fut représenté à Venise en 1730. Il composa encore pour sa belle Vénitienne un de ses meilleurs ouvrages, Artaserse, qui fut joué au théâtre de Saint-Jean-Chrysostôme avec un très grand succès; puis il accepta les propositions du roi de Pologne, qui le nomma son maître de chapelle, et il partit pour la cour de Dresde avec sa chère Faustina. Il y a tout lieu de croire qu’ils s’arrêtèrent en passant à Munich, où la Faustina se fit entendre, car un bel esprit de la cour de Bavière lui adressa un poème latin, où nous avons remarqué ces deux vers qui peignent assez fidèlement le talent de la charmante cantatrice :

Auditum recreant alii, tu sola medulas
Cordis et attenti pectoris...

Au commencement du XVIIIe siècle, l’Allemagne se dégageait à peine de l’enveloppe un peu fruste et des mœurs grossières du moyen-âge. Après un premier effort fait au XVe siècle et au début du siècle suivant pour se créer une littérature qui fût l’expression de son propre génie, l’Allemagne était retombée promptement sous l’influence de la France pour la politique, les œuvres de l’esprit et les rapports de la société civile, puis sous l’influence de l’Italie, dont la musique, les arts, les monumens, l’avaient complètement éblouie. Le règne de Louis XIV a été pour tous les princes de la confédération germanique un modèle de grandeur et de dignité royales qu’ils se sont empressés d’imiter, chacun dans la mesure de son pouvoir et de l’étendue du pays qu’il gouvernait. Toutes les résidences princières de l’Allemagne datent de cette époque, et toutes les grandes maisons de plaisance sont des miniatures de Versailles. Les qualifications données à ces palais et à ces châteaux de plaisance sont presque toutes empruntées à la langue française : c’est Mon-Séjour, Mon-Plaisir, Sans-Souci, Bel-Air, le Point du Jour, etc. Les mœurs, le faste de la cour de Louis XIV, la