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littérature et le théâtre français, la musique, les virtuoses et les arts de l’Italie, tels étaient les élémens dont se composait la vie des princes et des grands seigneurs de l’Allemagne au commencement du XVIIIe siècle. On ne voyait partout que mascarades, fêtes mythologiques, jeux de brelan, soupers, comédies et sérénades, et chaque prince avait à sa cour une myriade de grands dignitaires de la couronne qui rappelaient la hiérarchie de la haute domesticité de Versailles. Les princes dansaient sur le théâtre, à l’instar de Louis XIV, et, comme lui, ils avaient des maîtresses, des bâtards nombreux qu’ils établissaient aux dépens du trésor public.

C’était vraiment un spectacle curieux que la cour de tous ces petits potentats où la musique italienne et la comédie française, élémens nécessaires de tous les plaisirs, n’empêchaient pas le caractère germanique de se manifester par quelques singularités piquantes. Le duc de Mersebourg, par exemple, avait dans son palais une salle toute remplie de basses de viole, parmi lesquelles il y en avait une dont le manche touchait le plafond. On y montait par un escalier, et le duc se plaisait à faire admirer cette curiosité à tous les voyageurs. Le duc de Weimar passait son temps à fumer, à danser avec des femmes de chambre et à jouer du violon. Le prince héréditaire de Wurtemberg aimait avec la même ardeur la musique, la danse et la comédie française, et tout le monde était admis à son théâtre sans payer un sou. L’électeur palatin s’enivrait sur son grand tonneau de Heidelberg, où il dansait la sarabande avec les premières dames de sa cour aux sons des violons et du hautbois. Le plus original de tous ces princes était le margrave de Bade-Dourlach, qui a bâti le château et la ville de Carlsruhe. Il n’était servi que par des femmes de chambre, au nombre de soixante, grasses et vigoureusement constituées. Lorsque le prince allait à la promenade, ces femmes montaient à cheval, habillées en housards, et formaient ainsi un beau régiment qui lui servait de gardes-du-corps. De retour au palais, elles reprenaient les atours de leur sexe, chantaient des opéras, jouaient de toute sorte d’instrumens et faisaient le service musical de la chapelle. C’était, comme on voit, un prince économe que ce margrave de Bade, et du reste le meilleur homme du monde.

Les plus brillantes de ces cours princières de l’Allemagne étaient celles de Vienne, de Munich, et surtout la cour de Dresde, depuis que l’électeur de Saxe était devenu roi de Pologne par la grâce de son armée et de son argent. Auguste II, qui, après la mort de Sobieski, fut élu roi de ce peuple turbulent malgré les intrigues et les beaux discours latins du cardinal de polignac, ambassadeur de France, était un monarque fastueux, qui aimait la guerre, la musique, les arts et les plaisirs. Grand, fort et d’une adresse remarquable à tous les exercices corporels, chasseur intrépide et danseur élégant, se plaisant aussi