Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 16.djvu/582

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

national avait à grandir. Heureusement, à côté de ce grand mouvement de l’art étranger qui envahissait toutes les cours princières de l’Allemagne, il y eut, vers les dernières années du XVIIe siècle, un petit nombre d’esprits indépendans qui essayèrent d’évoquer le génie allemand et de créer un point de résistance à l’imitation servile de la musique italienne et de la littérature française. C’est à Hambourg, dans une ville libre et commerçante qui, par sa position géographique et la nature de ses institutions municipales, échappait à l’influence des cours, que, dans l’année 1678, fut construit le premier théâtre public qu’ait possédé l’Allemagne. On y représenta successivement les opéras de Keyser, de Haendel, de Telemann, de Matheson et d’autres musiciens dont l’histoire n’a pas conservé le nom. Ces opéras, tous composés sur un poème en langue nationale, ayant pour interprètes des chanteurs allemands, n’étaient, après tout, qu’une imitation plus ou moins libre de l’opéra italien, une succession d’airs tous coupés de la même manière, avec quelques duos et des chœurs d’une harmonie fort simple. Ce qui a fait le succès de l’opéra de Hambourg, qui a duré jusqu’en 1738, c’est l’esprit national qui avait présidé à cette institution. On était fier de voir des poètes, des musiciens et des chanteurs allemands offrir un spectacle intéressant qu’on pût opposer à l’opéra et aux virtuoses de l’Italie que les princes et les rois payaient au poids de l’or. Ce mouvement d’indépendance qui se prolongeait jusqu’à Leipzig, où résidait le grand Sébastien Bach, et par Leipzig touchait à Berlin, où deux célèbres théoriciens, Kirnberger et Marpurg, faisaient opposition au goût exclusif du grand Frédéric pour la musique et les virtuoses italiens, n’eut point d’abord dans l’ordre dramatique de résultats vraiment féconds. C’est dans la musique religieuse et instrumentale, dans les oratorios de Haendel et dans l’œuvre immense de Sébastien Bach, que le génie national manifesta ses qualités profondes et méditatives. Haendel et Sébastien Bach sont en effet les deux plus grands musiciens qu’ait produits l’Allemagne avant l’arrivée d’Haydn, de Gluck et de Mozart, dont le génie n’est pas purement autochtone, car il se mêle un rayon de mélodie italienne au tissu de leurs inspirations. Les opéras, les virtuoses et l’influence de la musique italienne ont donc régné sur les théâtres de toutes les cours princières de l’Allemagne jusqu’à la fin du XVIIIe siècle, et c’est contre cette domination tyrannique de l’art étranger que Beethoven, Weber et leurs partisans, reprenant l’œuvre essayée plutôt qu’accomplie par Keyser, ont levé l’étendard de l’insurrection. Tel est le caractère général de l’école romantique, qui est dans l’ordre de l’esprit ce que l’insurrection de 1813 est dans l’ordre politique. Elle vint évoquer le génie national, qui, depuis la renaissance, s’était laissé éblouir et charmer par l’art, la littérature et la civilisation de l’Europe méridionale. Il est curieux de