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remarquer en passant qu’aujourd’hui même, au moment où l’Europe semble marcher vers de nouvelles destinées et vouloir effacer toutes les distinctions traditionnelles qui caractérisent la vie particulière de chaque peuple, l’Allemagne, au contraire, s’efforce de répudier tout ce qui la rattache à la civilisation latine, cette base de la civilisation générale de l’Europe. Elle trace autour de ses frontières une sorte de barrière féodale pour défendre son esprit et ses mœurs du contact de l’étranger. Ce phénomène singulier de l’histoire contemporaine, qui n’a pas été signalé, ce nous semble, trouve son explication dans le passé de l’Allemagne. De très bonne heure éblouie par l’éclat de la France et de l’Italie, elle a vu long-temps leur double influence entraver le développement de son originalité. Ce n’est qu’au milieu du XVIIIe siècle, à partir de Klopstock et de Lessing, que l’Allemagne commence à se réveiller de son long assoupissement et cherche à créer une littérature qui soit l’expression de son propre génie. C’est à la suite de ce mouvement d’indépendance qui a produit Goethe et Schiller, que Beethoven, Weber, Schubert et plus tard Mendelssohn brisent toute relation avec la muse italienne, et achèvent la révolution dont l’école de Hambourg, de Leipzig et de Berlin avait prématurément donné le signal.

On pourrait diviser les musiciens de l’Allemagne en deux grandes familles qui seraient l’expression assez fidèle des deux tendances qui caractérisent la civilisation de ce peuple depuis la renaissance jusqu’à nos jours. Keyser, Haendel, Sébastien Bach, Beethoven, Weber, sont les représentans exclusifs et grandioses du génie national et autochthone, tandis que Meyerbeer, Winter, Mozart, Haydn dans la partie vocale de son œuvre, et Gluck reflètent la double influence du Nord et du Midi. Quant à l’amant de la Faustina, ce n’est pas un musicien allemand qu’il faut voir en lui. Hasse fut un disciple soumis et joyeux de l’école italienne. Né aux environs de Hambourg, élevé dans cette ville auprès de Keyser, dont il a chanté les opéras et admiré le génie, il n’emprunta presque rien aux formes indécises de la musique dramatique de son pays, et courut en Italie comme vers la source de sa gloire et de son inspiration. C’est à Naples, sous la discipline d’Alexandre Scarlati, que l’imagination de Hasse a pris l’essor. Choyé par les femmes, qui appréciaient sa figure et sa belle voix de ténor, admiré et fêté de ce peuple naïf qui avait l’enthousiasme facile et bruyant des temps héroïques, Hasse fut couronné de fleurs dès son début dans la carrière et adopté comme un enfant du pays. Ses opéras nombreux, dont un seul, Antigone, a été composé sur des paroles allemandes, ressemblent, pour la distribution et la coupe des morceaux, aux opéras de Vinci, de Léo, de Porpora, de Pergolèse et de tous les premiers maîtres de l’école napolitaine. C’est une succession d’airs invariablement coupés de la même manière, c’est-à-dire en deux parties, avec le da capo ou la reprise du