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saurait contester l’autorité : par Quantz, flûtiste célèbre qui a été le maître du grand Frédéric, et surtout par Tosi, sopraniste de premier mérite, qui, après avoir chanté dans les principales villes de l’Europe, s’était retiré à Londres, où il est mort et où il a publié un livre du plus grand intérêt sur l’art de chanter : Opinioni dè cantori antichi e moderni, o sieno osservazioni sopra il canto figurato. Dans cet opuscule de cent dix-huit pages, Tosi discute avec un goût parfait toutes les questions qui se rattachent au bel art de chanter, dont il pressent déjà la décadence au commencement du XVIIIe siècle, et l’on s’explique le cri d’alarme poussé par un si excellent maître, lorsqu’on réfléchit que Tosi, par son âge et l’éducation qu’il avait reçue, appartenait à une époque encore voisine de la naissance de l’opéra, où le récitatif, la belle déclamation et la musique simple retenaient la fantaisie des virtuoses dans des limites assez étroites. Après un siècle de tâtonnemens et de progrès, les chanteurs, devenus plus habiles, s’étaient émancipés en donnant une libre carrière à leur imagination, qui se substituait souvent à la pensée du compositeur. Voilà ce que redoutait Tosi en voyant apparaître sur la scène ces merveilleux sopranistes qui pendant si long-temps devaient éblouir et charmer l’Europe. Après avoir analysé successivement chacune des parties qui composent l’arsenal d’un chanteur parfait, Tosi termine l’avant-dernier chapitre de son excellent ouvrage par ces paroles : « Que celui qui veut apprendre à chanter, dit-il, étudie la méthode des bons chanteurs, qu’il étudie surtout ces deux femmes au-dessus de tout éloge, qui soutiennent de nos jours l’éclat de notre belle profession : l’une de ces femmes (la Faustina) est inimitable par la rapidité et le fini de son exécution merveilleuse, qui semble moins un résultat de l’art qu’un don de la nature; l’autre (la Cuzzoni) se fait remarquer par la noblesse de son style et la beauté de sa voix incomparable. Ah! quel ensemble exquis on formerait avec les qualités respectives de ces deux angéliques créatures, en réunissant dans un seul sujet le chant pathétique de la Cuzzoni à l’entrain, à la gaieté, à la bravoure de la Faustina ! »

Généreuse, fantasque, remplie d’esprit, de verve et de gaieté bénigne, la Faustina avait d’ailleurs un de ces caractères à mille reflets chatoyans qui présentent les contrastes les plus étranges. Malheur à celui qui méconnaissait l’empire de ses charmes, ou qui éprouvait quelque distraction pendant qu’elle chantait! Un soir qu’elle jouait au théâtre de la cour de Dresde le rôle de Zénobie, s’apercevant que le roi Auguste III causait un peu trop haut avec une belle princesse polonaise, elle prononça d’un ton si impérieux ces mots, qui faisaient partie de son rôle :

Taci, io tel commando !

que le roi ne se le fit pas dire deux fois, et, jusqu’à la fin de la