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BEAUMARCHAIS, SA VIE ET SON TEMPS.

mourante chante ainsi son chant du cygne, chacun des assistans, Beaumarchais en tête, se croit tenu de lui répondre par un impromptu sur la même idée et sur le même air.


Réponse à Julie par son frère, sur le même air.

 
Tu te mets à trop bas prix,
Nous t’estimons davantage,
Tu te mets à trop bas prix,
Nous en sommes tous surpris.
Dût-on en être fâché,
Repoussant le marchandage,
Dût-on en être fâché,
Nous couvrirons le marché.
Vois, ma chère,
Notre enchère
Nous t’offrons dix mille écus,
Cette offre est encor légère,
Nous t’offrons dix mille écus
Et cent mille par-dessus.


Un ami de la famille, nommé Daudet, dont il sera question au procès Kornmann, et qui n’est autre que le petit-fils de Mlle Lecouvreur, intervient à son tour dans cette enchère en couplets. Le sien est le plus spirituel ; malheureusement il est trop leste pour pouvoir être reproduit ici.

Julie Beaumarchais mourut donc presque littéralement en chantant ; mais, pour ceux qui trouveraient un peu de légèreté dans cette mort, je dois ajouter que Julie était alors bien réellement chrétienne, qu’elle remplissait tous ses devoirs religieux, que son testament, écrit à la même époque, respire une piété sincère[1]. Après avoir distribué à tous ses amis le peu qu’elle possédait, en se recommandant à leurs prières, Julie termine par ce passage touchant adressé à Beaumarchais : « Quant à toi, mon excellent frère, toi de qui je tiens tout et à qui je ne puis rien rendre que des grâces immortelles pour tout le bien que tu m’as fait, s’il est vrai, comme je n’en doute pas, qu’on survive au tombeau par la plus noble partie de son être, mon ame reconnaissante et attachée ne cessera de t’aimer dans l’infinie durée des siècles. »

Quelques détails sur la cinquième fille de l’horloger Caron achèveront le tableau de ce groupe de figures animées et rieuses qui entou-

  1. Léguant à sa nièce son propre ouvrage et un autre intitulé l’Ame élevée à Dieu, Julie écrit : « Je la prie de les conserver pour de sérieux momens, si la miséricorde de Dieu et mes ardentes prières les lui donnent. » Plus loin, elle dit d’une de ses amies à qui elle laisse un souvenir : « C’est mon ange tutélaire qui m’obtiendra miséricorde par ses prières et sa haute vertu. » Julie n’est donc pas responsable de l’impromptu impertinent de Daudet ; son couplet, à elle, est simplement et honnêtement gai.