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se détourne, baisse ses beaux yeux, et se glisse timidement dans la couche superbe. » Ne craignez pas qu’il se complaise aux détails périlleux, le divin poète; il glisse chastement et termine : « Ainsi, par la volonté des destins, un homme, sans le savoir, reposa dans les bras d’une immortelle. » C’est que l’antiquité, dans la beauté du corps, rêvait quelque chose de supérieur au plaisir des sens. « L’art antique était nu, dit M. Gautier, l’art moderne est habillé, ce qui fait que nous n’atteindrons jamais à la perfection des Grecs. » Cela est vrai; mais l’art antique n’en était pas moins humain par excellence, il ne comprenait pas qu’on put séparer l’âme du corps, l’étincelle céleste du foyer qu’elle anime : Prométhée dérobe le feu du ciel pour vivifier sa statue, et le vieux monde divinise cette hardie tentative du sublime artiste; Pygmalion s’agenouille devant une forme inanimée, et le vieux monde flétrit cet amour. Mais ce n’est point, comme André Chénier, à travers l’antiquité grecque que l’auteur d’Émaux et Camées aperçoit le paganisme, ce n’est pas même à travers l’antiquité latine, qu’a déjà piquée dans la fleur le ver de l’incrédulité. Son paganisme, à lui, est le paganisme du XVIe siècle avec le vieux levain d’opposition à l’idée chrétienne qui fermente depuis François Ier jusqu’à Louis XIV, et se manifeste dans les arts par l’épicurisme, comme il se manifeste en sens contraire dans les idées par le protestantisme. M. Gautier ne peut pardonner au christianisme d’avoir supprimé la chair et fait un crime de la nudité : « Dans la vie moderne, — c’est lui qui parle, — on peut très bien arriver à la fin de ses jours sans avoir aperçu, tel que Dieu l’a fait, le corps humain, cet admirable poème, et ce que nous disons là de la forme purement plastique s’applique également à la forme littéraire. » Ce n’est pas la faute de M. Gautier si l’art moderne n’est pas nu, car, pour son compte, il l’a déshabillé un assez bon nombre de fois. Le poème du corps, combien ne l’a-t-il pas chanté, ne faisant jamais entendre néanmoins que les mêmes accens! Le Poème de la femme de son nouveau recueil ressemble encore à ses aînés : c’est Nyssia du Roi Candaule que Gygès aperçoit nue, c’est la fille en robe de velours de Fortunio, ou, si vous préférez, c’est Théodore à la dernière scène de Mademoiselle de Maupin. M. Gautier se répète d’ailleurs et se paraphrase très souvent, et je citerai comme preuve Cœrulei oculi et Tristesse en mer, qui ne sont que la mise en vers textuelle de deux pages de Caprices et Zigzags.

Nous avons accordé quelque attention aux derniers ouvrages de M. Gautier. Là en effet il y a plus qu’un homme, il y a la foule des disciples aventureux, vieux enfans du romantisme de 1830. Certes, on pourrait trouver beaucoup à louer dans les œuvres de celui des fantaisistes qui, du moins par certaines qualités de détail, parvient à réveiller l’attention. Chez lui, il y a, même dans le culte des plus grands défauts, quelque chose d’imprévu, d’inattendu, qui le met à l’abri de la complète médiocrité; d’ailleurs sa bonne volonté de faire rire ses lecteurs par des tours de force de plus en plus surprenans désarme les plus sévères. Les défauts d’un enfant gâté ne finissent-ils point par sembler d’aimables défauts? Mais combien d’autres, sans excuse qui leur puisse concilier l’indulgence, s’ingénient à tirer des principes qu’ils professent en commun avec lui les conséquences extrêmes! Là précisément se trouve le mal. Il ne s’agit plus pour la critique de constater chez tel ou tel écrivain une piquante originalité, une façon adroite de faire le pastiche; ce qui