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tremble. L’existence publique contracte je ne sais quoi de désordonné et de violent. Vous n’ôterez pas de la tête des plus vigoureux champions du régime républicain qu’il y a une intime alliance entre l’idée de république et l’idée d’agitation permanente. Eh quoi ! disent-ils au premier effort tenté pour remettre les pavés en place, eh quoi ! sommes-nous encore en république ? Le pis est que nous ne croyons guère à ces institutions. Le factice s’y mêle à la violence sans l’exclure. Quand nous nous appelons citoyens, il est fort à craindre que nous n’ayons l’air, aux yeux du monde, de jouer la tragédie ; par malheur, la tragédie est quelquefois réelle. En un mot, la république en France, c’est un nuage souvent sanglant qui intercepte sans cesse l’avenir, c’est le mouvement des intérêts les plus légitimes suspendu, la perplexité jetée dans les âmes, le choix laissé entre toutes les perspectives extrêmes, l’incertitude et l’effroi en face de l’inconnu. Et n’allez point dire que, moyennant un peu d’habitude de ces agitations permanentes, il y aurait de grandes ressources d’action dans la république, car il resterait toujours une condition à remplir : ce serait de changer préalablement le caractère national, qui s’accommode si peu de ces habitudes. Ne dites pas davantage qu’il ne faut pas se préoccuper de l’inconnu, qu’on ne le doit point compter comme un élément politique. Quand l’inconnu revêt certaines couleurs qui troublent les imaginations, quand les esprits obsédés arrivent à se représenter l’avenir sous un certain aspect, c’est comme si cet avenir avait réellement existé. L’année 1852 ne s’est point réalisée telle que le pressentiment public la redoutait. Moralement, politiquement, elle n’en a pas moins existé. Elle a eu la valeur d’un fait et a produit ses conséquences. La vérité est que la république en elle-même effraie, et qu’elle est à peine instituée, qu’il y a dans le pays une conspiration universelle pour se créer une autre issue.

Que la force des choses, au contraire, suscite un nouveau courant, que tous ces vœux indistincts de stabilité prennent ostensiblement le cachet monarchique, la vérité est encore qu’on ne s’en effraie point à travers tout. Les intérêts se rassurent et se multiplient. Il semble à un certain degré qu’on revienne à son naturel. Dieu est témoin qu’en France il ne faut pas beaucoup gratter un homme, même frotté de république, pour retrouver un monarchiste. Le langage et les manières renaissent bien vite. Ces manifestations où la foule s’entasse ont un caractère ordonné et régulier. Tout se réunit pour précipiter le mouvement ; tout se range sans effort au courant nouveau. Il ne serait que juste et simple de se demander comment il se fait que toute réaction, tout instinct renaissant d’ordre, tout besoin de sécurité et de protection sociale aboutit si naturellement à la monarchie. Comment en est-il ainsi ? C’est que c’est une grande question de savoir si le sentiment conservateur en France n’est point identifié au sentiment monarchique, et s’il peut exister autrement. Assurément, sous la république même, la société peut trouver des moyens de défense : les forces conservatrices peuvent s’unir et elles s’unissent en effet ; mais, il faut bien le remarquer, elles s’unissent et luttent sur ce terrain nouveau, sans abdiquer, parce que cela est impossible, et dans l’unique but d’arrêter le mal par l’action, par la parole, par les lois. De tout ce que nous avons vu, que peut-on conclure ? C’est que la république effraie, quand ce sont les sectaires qui la font ou la revendiquent ;