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le genre de crimes dont le nombre a ainsi augmenté ? Quant aux crimes contre les personnes, ce sont malheureusement les attentats les plus révoltans, les viols, les avortemens, les attentats à la pudeur sur des adultes ou sur des enfans. Le nombre des accusations de ce dernier genre, qui avait été de 136, année moyenne, entre 1826 et 1830, s’est élevé à 420 entre 1846 et 1850. C’est une augmentation du triple qui s’est produite, surtout dans les départemens industriels et dans les grands centres de population. Les départemens les plus pauvres ont le privilège de ne point compter dans cette triste statistique. Quant aux crimes contre les propriétés, il y a un phénomène assez curieux à observer. Le nombre des vols qualifiés a diminué ; mais est-ce là le symptôme d’un progrès réel du respect de la propriété ? Il n’en est malheureusement rien. Cela prouve seulement que l’art d’attenter à la propriété va en se transformant, en se raffinant en quelque sorte ; il passe du vol par effraction au faux, à la banqueroute frauduleuse, à l’extorsion de signature. Les crimes de ce genre ont en effet notablement augmenté. Autre circonstance caractéristique à noter : c’est en général dans les campagnes que le respect de la propriété se maintient le plus intact. Malgré l’immense supériorité du nombre, les populations des campagnes n’entrent que pour un peu plus de moitié dans la masse des infractions de cette nature. Bien d’autres observations jailliraient aisément de cet ensemble de documens. Une considération l’emporte sur tout, comme nous le disions, c’est l’étrange accroissement, en général, des atteintes à la loi. Comment expliquer ce fait ? La population a augmenté sans doute depuis vingt-cinq ans, mais elle n’a pas triplé comme le nombre des crimes. Il ne peut y avoir d’autre cause que le travail secret des influences révolutionnaires, qui pénètrent partout, affaiblissent tous les ressorts, usent tous les freins, détruisent les conseils de la plus stricte probité par les séductions d’un matérialisme ardent, les habitudes de régularité et d’ordre par le spectacle de la violence et de la ruse, les plus inviolables instincts d’honnêteté par la surexcitation de toutes les passions. Ce livre de statistique à la main et l’histoire contemporaine sous les yeux, on peut assister à un redoutable parallélisme : la prétention aux libertés illimitées et la diminution du respect de la loi marchent du même pas, c’est-à-dire qu’on intervertit tous les rapports des choses, lorsqu’une logique supérieure et irrésistible vient de temps à autre se jouer de ces prétentions et montrer la vérité simple et nue.

De tels faits sont de nature à avoir un grand poids dans la balance de nos destinées morales et politiques. Ils sont un des élémens de notre histoire, et ils conduisent à ce problème que se pose, en d’autres termes et à un autre point de vue, M. de Montalembert, dans ce livre des Intérêts catholiques au dix-neuvième siècle, où se retrouvent l’ardeur et l’éclat de son talent. À coup sûr, il n’est pas de plus grande question, et qui touche davantage à toutes les plaies de notre temps. Nous ne saurions, on le conçoit, suivre l’auteur dans ses rapides et nerveux développemens. La thèse de M. de Montalembert est celle-ci : c’est que, tout compensé, la liberté est la plus utile alliée pour le catholicisme et la plus sûre condition de force et de vie pour les peuples comme pour les gouvernemens eux-mêmes. Mais quelle est la seule liberté possible et désirable aux yeux de l’auteur ? Ce n’est point évidemment celle dont nous