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parlions, qui se combine avec le mépris de la loi ; c’est la liberté qui s’appuie sur toutes les notions du devoir, qui trouve sa sanction, son mobile et son frein dans le sentiment religieux et moral. Comment cette liberté est-elle ou redevient-elle réalisable ? Là est la question toujours pendante. Les extrémités que les révolutions enfantent, les nécessités qu’elles créent, M. de Montalembert est loin de les méconnaître, et il n’a point été le dernier à les signaler. Ce qu’il ne comprend plus, c’est que ces nécessités transitoires soient transformées en lois générales et absolues par des esprits excessifs et moins encore par des catholiques. C’est là, si nous ne nous trompons, la véritable pensée des pages chaleureuses de M. de Montalembert. On pourrait tirer de ce livre des Intérêts catholiques une éloquente leçon. L’auteur lui-même met à nu en passant le danger qu’il y a à faire sans cesse et à tout propos des théories. Que l’autorité soit emportée dans un jour de révolution, aussitôt survient une théorie sur la liberté illimitée et le dégouvernement absolu. Que le pouvoir se reconstitue à la faveur d’un besoin universel de préservation, voici encore une autre théorie sur les pouvoirs illimités et sans garanties. Rien n’est plus facile et rien n’est plus vain, parce que les institutions politiques d’une nation ne se règlent pas d’après des théories : elles se proportionnent à son état moral ; elles sont ce que la société les fait. Le malheur est que dans la société française il y a toute une tradition de violences, d’anarchie, de luttes, d’incohérences. De là tant d’impossibilités, tant d’échecs, tant de brusques et éclatans reviremens. Pour remonter à la source, il faudrait revenir encore à ce grand et formidable événement de la révolution française, qui est l’éternel objet des études et des commentaires de notre temps.

Histoires, philosophies, dramatiques récits, fantaisies humoristiques, la révolution française a été mise sous toutes les formes. La nouveauté qui manque au sujet même, l’auteur de Louis XVII, sa vie, son agonie et sa mort, l’a trouvée dans les détails restés inconnus d’un des épisodes les plus remplis d’un saisissant et mystérieux intérêt. Une erreur singulière commise depuis long-temps, c’est qu’avec la révolution française aussi on a fait des théories à perte de vue ; on a créé un enchaînement d’abstractions dont le fil est aux mains de cette déesse aveugle de la fatalité, et dans cet enchaînement ont disparu les terreurs, les crimes, les spoliations, les malheurs immérités, tout ce qui constitue, en un mot, la réalité de cette lamentable époque. C’est le vrai et touchant mérite de l’ouvrage de M. de Beauchéne de faire reparaître cette réalité. Ce livre n’est-il pas trop abondant ? n’y a-t-il pas une trop grande profusion de détails, d’autographes, de citations et de documens ? Nous ne le savons ; ce qui est certain, c’est qu’il intéresse, parce qu’il fait assister, heure par heure, à une catastrophe telle qu’on ne saurait plus parler après elle des tragédies antiques. Louis XVI, Marie-Antoinette, Mme Élizabeth, le jeune prince livré aux brutalités cyniques de Simon, tous ces personnages revivent sans exagération, dans leurs proportions exactes. De tous les crimes de la révolution française, ce supplice infligé à toute une famille de rois est peut-être le plus grand. Faire périr des femmes et des enfans, sans doute c’est un outrage à l’humanité ; mais il y a encore le crime politique, la profonde et irréparable atteinte portée à la vie nationale elle-même. « Un crime fait-il disparaître la majesté royale ? a dit Shakspeare dans