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Hamlet. À la place qu’elle occupait s’ouvre un gouffre, et tout ce qui l’environne y est entraîné. » Ce gouffre ouvert, on n’est point arrivé encore à le combler ; on n’y a réussi ni avec de la gloire, comme sous l’empire, ni avec toutes les mesures réparatrices de la restauration, ni avec cet esprit libéral et conservateur qui essaya plus tard de concilier le respect de la monarcliie avec quelques-uns de ces principes que la révolution française avait inaugurés. Ni le zèle, ni le talent ne manquaient pourtant à ceux qui étaient animés de cet esprit. Cette phalange constitutionnelle comptait plus d’une intelligence supérieure et rare. L’une d’elles était M. Saint-Marc Girardin, l’auteur d’un livre bien différent de celui de M. de Beauchêne, les Souvenirs de voyages et d’études.

Dans ces temps de la restauration et du régime de juillet, M. Saint-Marc Girardin vivait de la vie du journaliste, du professeur, de l’homme politique et un peu aussi du voyageur, à ce qu’il semble, puisqu’il recueille aujourd’hui ses impressions d’autrefois. Les Souvenirs nous éloignent fort de la révolution française, et il ne faut pas s’en plaindre. Cela ne veut point dire cependant qu’ils ne touchent pas à la politique. L’auteur parle de l’Autriche, de la Russie, des principautés danubiennes, de la Turquie, sans compter la France, qui est toujours présente, ne fût-ce que par l’esprit. Ne sont-ce point là des questions encore actuelles ? N’y a-t-il point dans ces pages légères mille remarques qui ont gardé leur à-propos et leur justesse ? M. Saint-Marc Girardin fait de la politique en moraliste pénétrant, en critique ingénieux, en observateur très fin. « La politique, dit-il, n’a jamais été pour moi qu’un sujet d’observations et d’études. » Il y a dans la préface des Souvenirs une page charmante empreinte d’un scepticisme délicat, qui n’est peut-être au fond que la plus parfaite sagesse pratique. M. Saint-Marc Girardin est un de ces esprits en qui les événemens n’éveillent ni grande admiration ni grande haine, parce qu’il les juge en observateur qui a beaucoup vu et qui s’est créé d’autres préférences. Les changemens de la scène publique ne l’émeuvent ni ne l’étonnent peut-être ; à coup sûr, ils ne le prennent point au dépourvu. Par exemple, il ne consent point à être humble pour tout ce passé auquel il a été mêlé. Trente ans de paix et de liberté, comme il dit, valent les respects de l’histoire. Quant au reste, il est sans envie et sans dépit, et ce qui témoigne d’une supériorité charmante dans l’esprit, c’est qu’il est ainsi sans affectation ni effort, comme par tempérament et par nature. Cela est-il donc si aisé ? N’est-il pas plus facile, au contraire, de se laisser aller à arrêter sa montre quand on sort de la scène, à se renfermer en soi-même, nourrissant une humeur chagrine, prenant en pitié les autres, et n’imaginant pas que le monde puisse changer et se renouveler ? Il est bien vrai cependant : le cours des idées change, et ce serait faire preuve encore de puissance intellectuelle que de comprendre ce renouvellement et de le servir dans ses justes fins. Les générations changent aussi, et cela se manifeste dans la littérature comme dans la poUtique. Seulement, pour ne parler ici que de la littérature, il est bien vrai qu’on pourrait demander parfois aux nouveaux venus un peu plus de fécondité, un peu plus d’éclat et d’originalité d’inspiration. Le souffle est court souvent, et la fatigue se fait vite sentir.

Dans l’école romantique, dans tous ces écrivains et ces poètes d’il y a vingt