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dans ces redoutables années que l’Europe a traversées, il faut se demander parfois où chacun en était. Il faut tenir compte de ce bouleversement universel où tout était confondu, où les gouvernemens disparaissaient sous un souffle, et où le vertige et l’entrainement étaient dans l’air au point de troubler plus d’une tête qui n’était pas coupable. La seule manière de se donner un spectacle utile, de tirer un enseignement politique convenable des événemens, c’est de voir, quand l’occasion y prête, toutes ces révolutions triomphantes dans leurs embarras, leur impuissance, leurs petitesses, qui se révèlent après coup par d’irrécusables témoignages. Le procès qui se déroule devant la cour criminelle de Florence, et où M. Guerrazzi figure en première ligne, qu’est-ce autre chose aujourd’hui que l’histoire intime et instructive de la révolution toscane ? On n’a point oublié, à coup sûr, les tribulations intérieures du gouvernement provisoire en France ; elles égalent à peine celles du gouvernement provisoire de Florence, ou plutôt ce sont toujours les mêmes. M. Guerrazzi affirme que, quand il a accepté le titre de chef provisoire du pouvoir exécutif en 1848, il n’avait nullement l’intention de détrôner le grand-duc, qui avait été contraint de quitter la Toscane : tous ses efforts auraient tendu au contraire au rétablissement de l’institution monarchique ; mais dans cette œuvre, dont il développe le plan dans sa défense, il faut voir que de ruses, que de diplomatie devant l’émeute, que de graves négociations avec les clubs, que de concessions à tous les chefs d’escouade révolutionnaire ! Les missions, M. Guerrazzi les prodigue pour se débarrasser. Que les meneurs de la démagogie toscane aient la fantaisie d’envoyer des députés à la constituante romaine, M. Guerrazzi cherche à parer le coup en décrétant la convocation d’une assemblée constituante à Florence. Qu’on veuille proclamer la république, il se tient quitte avec un gouvernement provisoire. Que le général Laugier fasse une tentative pour rétablir le grand-duc, M. Guerrazzi ne demanderait pas mieux ; mais les clubs parlent, et il envoie tambour battant ce qu’il rencontre de soldats ou d’émeutiers contre le général ou contre le grand-duc lui-même avant sa retraite à Gaëte. Il faut admirer aujourd’hui comment ces gouvernemens révolutionnaires ont tenu deux heures avec tant de causes d’impuissance. M. Guerrazzi a-t-il été coupable dans son action politique ? Nous ne le savons ni ne le cherchons, bien entendu, au point de vue judiciaire. C’est un homme d’imagination, auteur d’un certain nombre de romans, et qui a trop cru peut-être qu’on pouvait faire du roman avec la vie réelle d’un pays. Dans toute cette histoire, on voit apparaître la figure d’un autre homme qui savait un peu mieux que lui ce qu’il faisait, et qui cherchait le pouvoir là où il était, dans les circoli : — c’est la figure de M. Mazzini, présent à Florence à cette époque pour précipiter les événemens. Après tout, le grand coupable des malheurs de l’Italie, c’est M. Mazzini. Qu’on observe toutes ces catastrophes, qu’on aille de Turin à Milan, de Florence à Rome, il est présent partout, soufflant sur l’Italie ce fanatisme révolutionnaire qui a tout perdu, et qui n’est point las encore de faire des victimes. Si un régime modéré et libre s’est maintenu à Turin, n’est-ce point malgré ses excitations et ses efforts ? Ce régime existe néanmoins, quelquefois laborieusement. En ce moment même, le ministère piémontais semble sur le point de se transformer. Au même instant, le Piémont a une crise ministérielle et