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Plus un homme a remué profondément l’humanité, plus il est important de savoir ce qui est resté de lui dans la conscience humaine.

Placé à la limite de deux âges, entre l’époque romaine qu’il ensevelit sous des débris et l’époque des grands établissemens barbares dont il prépare l’avènement, Attila apparaît dans l’histoire sous deux points de vue tout différens : à la fois destructeur et fondateur, il ferme l’ère de la domination romaine en Occident, il y ouvre l’ère véritable des dominations germaniques; il initie la barbarie à sa vie nouvelle. C’est par cette double action qu’il domine, dans les deux mondes civilisé et barbare, le Ve siècle, qui est le siècle de transition. De là aussi deux courans de souvenirs, d’impressions, de jugemens attachés à sa mémoire, l’un qui part du monde romain, l’autre qui prend sa source dans le monde germanique : distincts, opposés même à leur origine, ils restent séparés tout le long de leur cours et traversent le moyen-âge, sinon sans altération, du moins sans se rencontrer et sans se confondre.

À ces deux courans traditionnels principaux j’en joindrai un troisième, qui, sans avoir la même importance, ne saurait être négligé : je veux parler de la tradition hongroise, qu’il vaudrait mieux appeler pannonienne. C’est un mélange de souvenirs slavo-romains, conservés dans la vallée du Danube, avec d’autres souvenirs apportés d’Orient par les populations hunniques qui remplacèrent en Pannonie les Huns d’Attila. Les Ougres ou Hongrois, dont le nom national est Magyars, forment le dernier ban de ces conquérans de race hunnique devenus européens, et ce sont eux qui ont recueilli dans leurs livres tout ce qui pouvait servir à la glorification d’un homme qu’ils placent avec orgueil en tête de leurs rois. Quelque bizarres que soient souvent ces traditions frappées au coin de l’imagination orientale, nous les écouterons pourtant comme une voix sortie des ruines du palais qu’habitait Attila, un écho de la tombe mystérieuse qu’il habite encore.

Je n’ajouterai plus qu’un mot. Si la mise en œuvre est difficile dans mon travail, du moins les matériaux ne manquent pas; on peut dire au contraire qu’ils surabondent. Ceux de la tradition latine, soit gauloise, soit italienne, sont enfouis dans les chroniques des villes et dans les légendes ecclésiastiques, où l’on n’a qu’à les rassembler; ceux de la tradition germanique résident principalement dans les poèmes nationaux de l’Allemagne méridionale ou dans les chants et les sagas de l’Allemagne du nord. Quant aux livres des Magyars, c’est à la critique de discerner ce qu’ils peuvent contenir d’original ou d’emprunté, d’ancien ou de nouveau, de séparer surtout les réminiscences occidentales de quelques vagues ou lointains souvenirs qui ont pu revenir d’Asie en Europe avec les fils des Huns d’Attila.