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nouvelle! quel triomphe pour ses prêtres! En vain les prêtres païens mettaient en avant des calculs astrologiques pour expliquer la retraite d’Attila par l’action des astres : la conscience publique en faisait honneur à saint Léon, qui lui-même reportait cet honneur à son Dieu. Considérés de ces hauteurs idéales, les événemens purement terrestres étaient bien petits, et la victoire de Châlons, gagnée par le hasard des batailles, devait sembler bien misérable auprès de celle du Mincio, gagnée par la parole d’un vieillard. Aëtius eut lieu de s’en apercevoir. A quoi bon le génie et l’expérience des armes dans la sphère métaphysique où l’on transportait les intérêts de l’empire, et où les faits eux-mêmes venaient en quelque sorte se ranger? Cette manière toute chrétienne d’envisager la guerre d’Attila imposait nécessairement aux historiens chrétiens un mode de composition, une formule d’art en harmonie avec l’idée religieuse. Nous allons voir quelle était cette formule : elle nous est indiquée par un contemporain, le fameux Sidoine Apollinaire, qui entreprit lui-même d’écrire la campagne des Gaules.

Sidonius, de la famille lyonnaise des Apollinaire, avait été long-temps le poète à la mode : ses petits vers et ses lettres, rédigées pour la postérité, circulaient de main en main, d’un bout de l’empire à l’autre; dans Rome même, il n’y avait point de fête complète sans une lecture du Virgile gaulois, et tout nouveau venu sur le trône des Césars attendait de lui son panégyrique. Tant de gloire jointe à beaucoup de noblesse lui valut la main de Papianilla, fille du riche Arverne Avitus, qui avait décidé les Visigoths à se ranger sous le drapeau d’Aëtius contre Attila, et qui plus tard fut nommé empereur avec leur concours. Sidoine, comblé des honneurs du siècle, céda enfin au torrent qui entraînait vers les vocations religieuses tous les hommes distingués de son temps : il devint évêque de Clermont. Son talent incontestable, sa position comme homme du monde initié aux secrets de la politique, ses relations de vive amitié avec saint Loup, qui était parfois son confident littéraire, et d’autres relations moins étroites qu’il avait entretenues avec saint Aignan, le désignaient à tous comme l’homme à qui il appartenait de raconter la guerre des Gaules. On l’en pria, on l’en chargea en quelque sorte comme d’un devoir, et Prosper, qui venait de succéder à saint Aignan sur le siège épiscopal d’Orléans, parvint à lui en arracher la promesse. Sidoine se mit donc à l’œuvre, mais la longueur du travail le découragea : lui-même d’ailleurs, évêque ferme et dévoué, émule de ceux qu’il voulait peindre, se trouva bientôt jeté au milieu d’événemens et de traverses qui absorbèrent le reste de sa vie. Il prit le parti de retirer sa parole, et écrivit à Prosper pour la dégager. Nous avons encore sa lettre, qui nous intéresse par plusieurs raisons, et surtout parce qu’elle nous permet de juger le plan historique de Sidoine et le genre d’utilité que le clergé des Gaules attendait de sa plume; elle était conçue en ces termes :