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« Sidonius au seigneur pape Prosper.

« Dans ton désir de voir célébrer par de justes louanges le très grand et très parfait pontife saint Aignan, l’égal de Loup et non l’inférieur de Germain, et aussi pour bien graver dans le cœur des fidèles l’exemple d’un tel homme, à qui aucune gloire n’a manqué, puisqu’il t’a laissé pour son successeur, tu avais exigé de moi la promesse que, prenant la plume, je transmettrais à la postérité la guerre d’Attila. Je devais raconter comment la ville d’Orléans fut assiégée, forcée, envahie, non saccagée, et comment s’accomplit la fameuse prophétie de cet évêque toujours exaucé du ciel. J’avais commencé d’écrire, mais l’énormité de mon entreprise m’a effrayé, et je me suis repenti d’y avoir mis la main : aussi n’ai-je confié à aucune oreille des essais que j’avais condamnés moi-même comme censeur. J’obéirai du moins à ton honorable prière et au respect que m’inspirent les mérites du grand évêque, en t’envoyant son éloge par la plus prochaine occasion. Créancier équitable, use d’indulgence envers un débiteur téméraire, absous-le de son imprudence, et ne réclame pas impitoyablement une dette pour laquelle il se déclare insolvable. Daigne te souvenir de nous, seigneur pape. »


Ainsi la pensée d’Apollinaire consistait à mettre en relief saint Aignan, non point seulement comme personnage historique, mais comme personnage chrétien, pour la glorification de la religion, ainsi qu’il le dit lui-même, et « afin d’inculquer un si grand exemple au cœur des fidèles : » c’est là ce que désirait Prosper, ce que réclamaient avec lui les évêques des Gaules. Pour l’exécution de ce plan, Sidoine, après avoir fait une large part au défenseur d’Orléans, aurait passé à celui de Troyes, saint Loup, son ami, puis, selon toute apparence, à Geneviève, l’austère et courageuse conseillère des Parisiens, et, jetant un regard lointain sur l’Italie, il aurait dessiné au dernier plan saint Léon fléchissant Attila d’un mot et fermant devant cet homme fatal la carrière des conquêtes et de la vie. Tout l’arrangement du récit aurait convergé vers ces grandes figures chrétiennes échelonnées sur la route du conquérant. Déjà considérable en fait, leur action sur les conséquences de la guerre aurait été agrandie, exaltée. On aurait vu à chaque page la main de Dieu détournant le cours des événemens à la prière de ses serviteurs; on aurait entendu sa voix parlant au cœur du Barbare par la bouche de trois grands évêques, et opérant dans le secret de la conscience humaine le plus inattendu des miracles, celui d’avoir rendu Attila pitoyable.

Ce mélange d’idées spéculatives et de faits réels était effectivement la passion du siècle. Habitués à chercher au ciel le nœud des choses de la terre, tous, historiens, théologiens, moralistes, subordonnaient dans leurs formules la marche des événemens d’ici-bas à des péripéties venues d’en haut. L’histoire telle que la comprenaient les écrivains de l’école chrétienne était, si je puis ainsi parler, le spectacle des évolutions de la Providence conduisant les peuples vers un but