Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 16.djvu/632

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’immortalité. On comprendra, d’après ce simple fait, le caractère des altérations que le moyen-âge a fait subir à beaucoup de personnages et d’événemens des temps antérieurs.

Saint Aignan eut, au même titre que saint Léon, un destin pareil, Le patriotisme de ce prêtre, son héroïque constance, cette foi simple et naïve qui lui faisait dire quand il avait prié et mouillé de larmes les degrés de l’autel : « Allez voir là-haut si la miséricorde de Dieu ne nous vient point, » — foi irrésistible et qui donne le secret de sa puissance sur les hommes, — tout cela n’est plus compris par des esprits matériels au milieu des ténèbres toujours croissantes. Les miracles de l’énergie humaine soutenue par l’inspiration divine disparaissent devant une fantasmagorie puérile que le Ve siècle eût repoussée, mais qui était devenue l’aliment indispensable d’une foi plus grossière. Ce que j’ai dit de saint Aignan et de saint Léon, je le dirai de Geneviève, cette sainte fille qu’on devine si bien en lisant sa première légende, et qu’on ne devine plus dans les autres. Saint Loup lui-même, ce confident littéraire de Sidoine, dont nous avons quelques lettres, cet apôtre homme du monde que son biographe quasi-contemporain nous fait apercevoir sous un jour si vrai, a perdu toute réalité dans sa légende écrite à la fin du VIIIe siècle ou au commencement du IXe. L’ami de Sidoine, le compagnon de Germain d’Auxerre, s’est effacé pour faire place à un thaumaturge qui s’évanouit lui-même en une sorte de symbole. C’est du VIIe siècle au Xe" que s’opèrent généralement ces métamorphoses qui ont profondément altéré les biographies des saints et créé la mythologie légendaire. Toutefois ce mouvement d’idées ne manqua pas d’une certaine poésie, et c’est de là que jaillit le type du fléau de Dieu.

A quelle époque précise est née cette formule fameuse d’Attila flagellum Dei, dont les légendaires et les chroniqueurs ne font qu’un mot auquel ils laissent la physionomie latine, même en langue vulgaire? On ne le sait pas : tout ce qu’on peut dire, c’est qu’elle ne se trouve chez aucun auteur contemporain, et que la légende de saint Loup, dont je parlais tout à l’heure, laquelle fut écrite au VIIIe ou IXe siècle par un prêtre de Troyes, est le plus ancien document qui nous la donne. Déjà l’idée attachée par le moyen-âge au mot flagellum Dei nous y apparaît dans sa plénitude; le mythe est formé. Il faut donc placer entre le Ve et le VIIIe siècle l’adoption du mot flagellum Dei, d’abord comme une épithète attachée au nom d’Attila, puis comme un titre que celui-ci s’attribue lui-même et dont il se pare, enfin comme une personnification dans laquelle il se confond et qui absorbe sa réalité historique. Le mot flagellum Dei parcourt ces trois phases, et l’idée que lui assigne le moyen-âge ne devient parfaite qu’à la dernière.