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homme jeune et mie jeune fille, travaillant seuls du matin au soir dans une petite chambre, partageant les fatigues et les privations, faisant les mêmes rêves, n’en arrivent pas à une intimité scandaleuse.

A la sollicitation du gouvernement, la société des maîtres tailleurs, c’est-à-dire les chefs des deux cents principales maisons de Paris rédigèrent, en 1849, un mémoire sur le sort des ouvriers de leur profession. Après avoir exposé que la moitié de ceux-ci est conduite par la misère dans les ateliers des entrepreneurs de confection, ils ajoutent ces paroles qu’il aurait fallu démentir officiellement, si elles sont fausses, et auxquelles il faudrait donner une publicité retentissante, si elles sont vraies : « La moyenne de la journée pour les ouvriers de cette catégorie est à peine de 1 fr. Nous ne produisons pas ici les prix payés par les entremetteurs, qui sont bien moindres encore.» A l’appui de cette assertion se trouve un tarif indiquant, pour chaque vêtement, le prix net payé par heure à l’ouvrier et le nombre des heures nécessaires. Il en résulte qu’une journée de douze heures pleines peut varier depuis 2 fr. 50 c. Pour les pièces exigeant de la dextérité jusqu’à 37 centimes et demi pour les vêtemens de pacotille. Ces résultats n’ont pas été contestés; les rédacteurs de l’enquête fournissent eux-mêmes des renseignemens qui semblent les confirmer. Ils ajoutent néanmoins : « Quelque modiques que soient ces prix, les moyennes de salaires résultant des déclarations des confectionneurs n’en sont pas moins de 3 fr. 26 c. Pour les hommes et de 1 fr. 34 c. pour les femmes. » Croire ainsi les confectionneurs sur parole, c’est y mettre beaucoup de politesse.

Le triste sort des femmes ouvrières est assez connu. Un nombre considérable d’entre elles, ne trouvant pas dans le travail des ressources suffisantes, sont conduites à rechercher des protections suspectes. De là ces liaisons passagères où tant de filles flétrissent leur jeunesse. Les renseignemens fournis par l’enquête semblent disposés de manière à dissimuler le véritable état des choses. Sur 101,626 ouvrières qui se partagent journellement une somme de 165,428 francs, il y a, nous dit-on :


950 femmes recevant un salaire inférieur à 60 centimes.
100,050 » » » » de 60 centimes à 3 francs.
626 » » » » supérieur à 3 francs.

Pour la majorité des femmes, les ressources sont-elles suffisantes? Combien y en a-t-il dont les salaires atteignent 1 fr, 1 fr. 50 c, 2 fr. Par jour occupé? Voilà ce qu’il importait d’éclaircir. Entre 60 centimes et 3 fr, l’écart est si grand que le fait essentiel reste dans le vague. Pour peu que fût élevé le nombre des ouvrières gagnant plus de 2 francs, il ne resterait aux autres qu’un salaire insuffisant pour les faire vivre dans une honorable indépendance.

Même dans le détail, les chiffres relatifs aux femmes semblent groupés de manière à rassurer ceux qui n’ont rien à désirer dans ce monde que le calme et la continuation de leur bien-être; toutefois de tristes aveux échappent de temps en temps. Après avoir attribué aux 3,659 brodeuses un gain moyen de 1 fr. 71 cent, revenu dont la plupart des ouvrières se contenteraient s’il était régulier, l’enquête, rentrant dans la réalité, constate que « la rémunération