Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 16.djvu/660

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

casquettes de drap à 12 fr. la douzaine, des calottes en tissus de coton de fantaisie à 2 fr. 50 cent. la douzaine, des coiffes à 60 cent, la douzaine, etc.. » Combien est donc payée la façon de ces coiffures qui se vendent moins de 20 centimes? Suivant l’enquête, « il faut quinze heures pour tailler, monter et coudre une douzaine de ces casquettes. » Le travail d’une heure, procurant au plus 4 cent, et demi, l’ouvrière a gagné 54 centimes quand elle a donné douze heures de son temps, non compris l’intervalle des repas[1]. S’il est vrai qu’après une journée aussi bien remplie et avec le superflu de son gain elle trouve le moyen de se procurer quelque dissipation, la blâme qui voudra, ce n’est pas moi qui lui jetterai la première pierre.

On nous apprend encore que « un grand nombre d’entrepreneurs de lingerie font travailler hors de Paris et dan les couvens à des prix qui ne laissent à l’ouvrière que 25 ou 30 cent, par jour. « Dans la même page, on ajoute sur le ton du reproche que la plupart des lingères montrent peu de goût pour le travail, que leur existence est problématique, et qu’elles sont en majorité dans le personnel des bals publics. Il n’est que trop vrai : beaucoup de ces malheureuses, démoralisées par un labeur stérile, se lancent à corps perdu dans les folles aventures, trop heureuses le plus souvent, lorsqu’à défaut du repas substantiel qu’elles ont rêvé, elles se rassasient au bal de bière et de croquets.

L’enquête, je l’ai déjà fait remarquer, indique le maximum de ce que peut gagner l’ouvrier pendant une journée pleine. Pour se faire une idée exacte de sa situation, il faudrait savoir ce qu’il y aurait à rabattre sur l’ensemble de l’année pour le nombre des jours pendant lesquels il ne lui est pas possible de travailler. Les renseignemens donnés à ce sujet flottent encore dans le vague. on parle de 250 à 300 jours productifs : c’est beaucoup trop assurément. J’évalue la perte du temps à 52 jours pour les dimanches, 8 jours pour les fêtes publiques et religieuses, 10 jours en moyenne pour les maladies[2] et l’accomplissement des devoirs impérieux. Il y a de temps en temps dans les ateliers de petits accidens, des retards, des obstacles involontaires qui forcent l’ouvrier à se croiser les bras, même quand la besogne presse, et l’addition de ces heures perdues équivaut, à la fin de l’année, à un certain nombre de journées improductives. Il y a enfin, dans tous les états, la morte saison, c’est-à-dire un ralentissement ou une suspension du travail, qui dure, suivant les spécialités, de deux à cinq mois. Pendant cette période, on congédie

  1. Pendant les mauvais mois de 1848, le prix des façons a été encore abaissé. Il y a, même en temps ordinaire, trois mois et demi de morte saison, pendant lesquels le travail est à peu près suspendu.
  2. En 1847, on a traité dans les hôpitaux de Paris 88,080 malades, et la durée moyenne du traitement a été de 24 jours, ce qui donne 2,113,920 journées de présence. Toutes les maladies qui suspendent le travail ne sont pas traitées à l’hôpital. On sait d’ailleurs qu’à Paris et dans les grandes villes les malades sont congédiés avant qu’ils aient repris leurs forces. M. de Watteville signale ce fait dans un rapport adressé l’année dernière au ministre. « La moyenne du traitement pour la France entière, dit-il, est de 60 jours. Cela tient à ce que dans les établissemens ruraux, les malades restent cinq ou six mois à l’hôpital, parce qu’il n’y a pas nécessité de les renvoyer pour faire place à d’autres malades. »