Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 16.djvu/664

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

coin du gros volume qu’une des charges de l’administration des pompes funèbres est de faire inhumer à ses frais les indigens, et que chaque année elle est obligée de fournir gratuitement des bières et des linceuls pour le tiers des individus qui meurent à Paris !


IV. — LA MISÈRE A PARIS.

L’immoralité engendre-t-elle la misère, ou bien est-ce en général la misère qui produit l’immoralité? La première hypothèse est communément professée : la plupart des publicistes considéreraient comme une imprudence de ne pas déclarer que la détresse et cette sorte d’avilissement qui l’accompagne d’ordinaire sont le juste châtiment d’une conduite désordonnée. Toutefois ce lieu commun de la morale officielle n’a pas, à beaucoup près, le caractère d’une vérité démontrée. Pour prononcer en pleine connaissance de cause, il faudrait une série d’investigations spéciales, poursuivies sans parti pris et sur une assez grande échelle : opération pleine de difficultés, et qui, si je ne me trompe, n’a jamais été poussée à bout qu’une fois. En 1818, le baron de Keverberg, gouverneur de la province de Gand, voulut connaître les causes de la misère dans la région confiée à son zèle. Par ses ordres, des renseignemens furent pris individuellement et avec beaucoup de soins et de détails sur près de 70,000 indigens. Il fut constaté que ceux qui expiaient leur inconduite étaient seulement dans la proportion de 5 sur 100, que le quart des individus vivaient dans la pénurie par insuffisance de travail, et que près de la moitié des malheureux, 49 sur 100, succombaient sous les charges d’une famille trop nombreuse[1].

Des résultats à peu près semblables ressortent des études faites à Paris par un des principaux administrateurs de la bienfaisance publique. Après avoir analysé le budget d’une famille ouvrière à laquelle il suppose un revenu de 1,000 francs par an (combien n’atteignent pas ce chiffre!), M. Vée ajoute[2] : « Avec deux enfans, l’équilibre entre les recettes et les dépenses existe facilement; avec trois, il se trouvera détruit. » Or plus de trois naissances par ménage sont nécessaires pour maintenir la population au même niveau. Il est évident que deux enfans au plus sur trois parviennent à l’âge adulte : les deux survivans suffisent à remplacer le père et la mère, mais ne comblent pas

  1. L’ouvrage du baron de Keverberg a été publié à Gand en 1818 sous ce titre : Essai sur l’indigence dans la Flandre orientale, et les résultats en ont été reproduits par M. de Gérando dans son Traité de la Bienfaisance publique :
    1° Vieillards indigens. 2,881 Proportion sur 100 4
    2° Infirmes indigens 7,802 — 11
    3° Indigens à la suite de malheurs particuliers.. 4,842 — 7
    4° — par suite de surabondance d’enfans.. 33,962 — 49
    5° — par insuffisance de travail 15,837 — 24
    6° — par inconduite 3,100 — 5
    Total des indigens de la province 69,424 100
  2. Du Paupérisme et des Secours publics dans la ville de Paris, par M Vée, administrateur des hôpitaux.