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pour la cause. On a vu plus haut qu’à Paris la fécondité est en raison inverse de la richesse, et ce triste phénomène se vérifie dans tous les pays. Quand de longues privations ont démoralisé l’ouvrier, il perd le sentiment de la prévoyance pour lui-même comme pour ceux qu’il met au monde. Pauvre, il ne s’effraie plus d’une famille nombreuse destinée, comme lui, à vivre sans lendemain, et le grand nombre des enfans qui surviennent dans son taudis le font déchoir de la pauvreté dans la misère irrémédiable.

Lorsque les gens éclairés et prudens d’un pays jugent en leur ame et conscience que le niveau des salaires y est en général trop bas, ils peuvent être persuadés qu’il y a des vices à réformer dans le régime fait à l’industrie. Ces vices sont quelquefois tellement cachés, ils agissent d’une manière si subtile, qu’il est difficile de les découvrir. Cherchez et vous trouverez, peut-on dire aux hommes de bonne volonté. Qu’ils étudient les faits avec indépendance et impartialité, ils finiront par entrevoir que le mal réside ou dans des abus de fiscalité, ou dans des monopoles et privilèges, ou dans des entraves inutiles. Qu’ils s’entendent pour éclairer l’opinion sur ces abus, qu’ils en obtiennent le redressement par des voies légales et pacifiques, et bientôt, sans mesures violentes, sans atteintes portées aux droits respectables, on verra s’améliorer la rémunération de ces labeurs quotidiens qui font vivre les sociétés.

Une machine fonctionne mal et menace de se détraquer. Un ignorant propose de la jeter bas et de la reconstruire sur un plan nouveau qu’il indique. Un habile ingénieur observe, réfléchit, découvre que quelques grains de sable cachés dans les rouages faussent les mouvemens et qu’il suffit de les faire disparaître pour que tout aille au mieux : image de la politique. Les utopies dangereuses, filles de l’ignorance, ont la prétention de tout refondre, de tout régler arbitrairement et de maintenir d’autorité un équilibre factice. Sous promesse d’enrichir les sociétés, elles leur enlèvent le principe de tout enrichissement, qui est le libre exercice des facultés personnelles. Au contraire, le caractère des réformes fécondes et durables est de restituer aux individus la somme de liberté qui leur avait été ravie par de mauvaises institutions. Une entrave qu’on abaisse ou un monopole qu’on détruit, c’est le grain de sable imperceptible qui causait tout le mal, sans que le vulgaire s’en doutât.

Je m’attends à une de ces objections qu’on ne formule pas tout haut, mais qu’on agite intérieurement dans les profondeurs de la conscience. Si des réformes économiques élevaient le taux des salaires, se dira-t-on, si le contingent des salariés pouvait être grossi, ne serait-ce pas au détriment des autres classes? Je surprendrai sans doute bien des gens en affirmant que la part des pauvres ne peut et ne doit être augmentée qu’à une condition : c’est que celle des riches ne soit pas amoindrie. Je vais mettre cette pensée en saillie par une hypothèse.

Je suppose un petit peuple chez lequel l’ensemble de la production, ou, ce qui revient au même, le montant des revenus serait de 100 millions. La part du prolétariat est de 30 pour 100, soit 30 millions; celle des classes dominatrices est de 70 pour 100 ou 70 millions. Surviennent, dans l’ordre économique, des réformes qui, déplaçant la limite, portent le contingent du travail manuel à 40 pour 100, en réduisant à 60 pour 100 celui du capital qui fournit les instrumens et de l’intelligence qui conçoit et dirige. Aussitôt la