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de l’argent pour acheter des charges, et l’avait fait entrer dans diverses opérations industrielles destinées à lui fournir les moyens de rendre l’argent qu’il lui prêtait. De cette liaison d’amitié et d’affaires qui dura dix ans, dans laquelle Beaumarchais fut souvent chargé par Du Verney de négociations importantes, et qui, en dernier lieu, avait amené leur association pour l’achat de la forêt de Chinon, il était résulté entre eux un mouvement de fonds assez considérable, qui n’avait jamais été réglé par un compte définitif. Beaumarchais, vu le grand âge de Du Verney et dans l’appréhension d’un procès avec ses héritiers, lui avait plusieurs fois et vivement demandé ce règlement de comptes. Il l’obtint enfin le 1er  avril 1770, au moyen d’un acte fait double, sous seing privé, par lequel, après une assez longue énumération du doit et de l’avoir de chacun des contractans l’un sur l’autre, Beaumarchais fait remise à Du Verney de 160,000 francs de ses billets au porteur, et consent à la résiliation de leur société pour la forêt de Chinon. De son côté, Du Verney déclare Beaumarchais quitte de toutes dettes envers lui, reconnaît lui devoir la somme de 15,000 francs payable à sa volonté, et s’oblige à lui prêter, pendant huit ans, sans intérêts, une somme de 75,000 fr.

Ces deux clauses n’étaient point encore remplies, lorsque Du Verney mourut le 17 juillet 1770, à quatre-vingt-sept ans, laissant une fortune d’environ 1,500,000 francs. Comme il n’avait que des neveux et des petits-neveux, il avait choisi pour légataire universel un de ces derniers, son petit-neveu par les femmes, élevé près de lui, devenu par ses soins maréchal-de-camp, et qui se nommait le comte de La Blache. Depuis long-temps, le comte de La Blache disait de Beaumarchais : « Je hais cet homme comme un amant aime sa maîtresse. » La Harpe, qui n’était pas bien au courant des faits, paraît s’étonner de cette haine, et la présente comme une des singularités de la vie de Beaumarchais. Elle n’offrait pourtant rien de singulier : d’abord il est assez naturel qu’un héritier présomptif n’ait pas grand goût pour quelqu’un qui a reçu et qui peut recevoir des bienfaits d’un vieillard dont la fortune lui est réservée ; ensuite le comte de La Blache avait des motifs particuliers pour détester Beaumarchais. Celui-ci était très lié avec un autre neveu de Pâris Du Verney du côté paternel, M. Pâris de Meyzieu, homme distingué, qui avait puissamment aidé son oncle dans la fondation de l’École militaire, mais qui, beaucoup moins habile dans l’art difficile et pénible aux gens de cœur de s’assurer d’une succession, s’était retiré de la lutte et laissé sacrifier à un parent plus éloigné. Beaumarchais, trouvant que ce sacrifice n’était pas juste, n’avait cessé de combattre la faiblesse de son vieil ami Du Verney, et de plaider pour M. de Meyzieu avec une franchise et une vivacité prouvées par ses lettres, dont je ne citerai qu’un fragment, qui se rapporte précisément à l’arrêté de comptes en question.