Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 16.djvu/679

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.


« Je ne puis soutenir, écrit-il à Du Verney en date du 9 mars 1770, qu’en cas de mort, vous me plantiez vis-à-vis M. le comte de La Blache, que j’honore de tout mon cœur, mais qui, depuis que je l’ai vu familièrement chez Mme  d’Hauteville, ne m’a jamais fait l’honneur de me saluer. Vous en faites votre héritier, je n’ai rien à dire à cela ; mais, si je dois, en cas du plus grand malheur que je puisse craindre, être son débiteur, je suis votre serviteur pour l’arrangement : je ne résilie point. Mettez-moi vis-à-vis mon ami Meyzieu, qui est un galant homme et à qui vous devez, mon bon ami, des réparations depuis long-temps : ce n’est pas des excuses qu’un oncle doit à son neveu, mais des bontés et surtout des bienfaits, quand il a senti qu’il avait eu tort avec lui. Je ne vous ai jamais fardé mon opinion là-dessus. Mettez-moi vis-à-vis de lui. Ce souvenir que vous lui laisserez de vous, lorsqu’il s’y attend le moins, élèvera son cœur à une reconnaissance digne du bienfait. Enfin c’est mon dernier mot : vous, ou, à votre défaut, Meyzieu, ou point de résiliation[1]. J’ai d’autres motifs encore pour appuyer sur ce dernier point, mais c’est de bouche que je vous les communiquerai. Quand voulez-vous que nous nous voyions ? car je vous avertis que d’ici là je ne ferai pas une panse d’a sur vos corrections. »


On concevra facilement que ces dispositions de Beaumarchais pour le neveu sacrifié étaient peu propres à lui concilier la bienveillance du petit-neveu préféré. Le comte de La Blache le détestait donc très vivement, et lorsqu’après la mort de Du Verney, Beaumarchais lui fit présenter son arrêté de comptes, en en réclamant l’exécution, il répondit qu’il ne reconnaissait point la signature de son oncle et qu’il considérait l’acte comme faux. Sommé de s’inscrire en faux, sauf à subir les conséquences d’un échec dans cette voie dangereuse, il déclara qu’il se réservait d’user ou non de ce moyen, et, en attendant, il demanda aux tribunaux l’annulation de l’arrêté de comptes par voie de rescision, comme renfermant en lui-même des preuves de dol et de fraude, de sorte que Beaumarchais se trouva enlacé dans les liens de la procédure la plus odieuse ; car, tout en n’osant pas l’attaquer directement comme faussaire, son adversaire ne cessait de plaider indirectement la question de faux, et, après cette discussion infamante, il prétendait cependant tirer parti contre Beaumarchais de l’acte même qu’il déclarait faux. Ainsi, non content de réclamer de lui le paiement de 53,500 livres de créances trouvées dans les papiers de Du Verney et annulées par l’arrêté de comptes en question, comme dans cet arrêté de comptes Beaumarchais portait à son passif non plus seulement 53,500 livres, mais 139,000 livres, compensées par un actif plus considérable, son adversaire demandait naïvement que la prétendue fausseté de l’arrêté de comptes ne servît qu’à faire annuler la créance de Beaumarchais sur Du Verney, mais laissât subsister tout entière

  1. Ceci a trait au désir de Du Verney de résilier la société pour l’exploitation de la forêt de Chinon, désir auquel Beaumarchais accédait, mais en faisant ses conditions.