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dans une autre pièce pour causer ensemble en particulier, ce qu’il a fait sans difficulté. Je lui ai fait des représentations honnêtes sur cette scène, il les a écoutées et s’est rendu à ce que j’ai exigé de lui, c’est-à-dire qu’il ne se passerait rien davantage, ce dont il m’a donné sa parole d’honneur qu’il a tenue ; car, pendant que je suis sorti un demi-quart d’heure environ pour aller en causer avec un cordon rouge qui dînait dans le quartier et que les deux parties m’avaient nommé[1], il s’en est allé de chez ledit sieur de Beaumarchais. L’on répand dans le public que M. le duc de Chaulnes m’a manqué, quoique sachant qui j’étais : ce fait est absolument faux ; je n’ai eu que lieu de me louer des procédés de M. le duc, qui ne m’a même rien dit de désagréable et qui m’a au contraire traité avec beaucoup d’honnêteté en me témoignant même des égards et de la confiance[2]. Je lui dois cette justice en rendant hommage à la vérité. Je suis avec respect, etc.,

« Chenu, commissaire. »


On doit être désireux d’entendre le duc de Chaulnes s’expliquer à son tour ; joignons ici la déposition écrite et adressée par lui au tribunal des maréchaux de France. À l’aide de tout ce qui précède, on démêlera facilement dans son récit les points où il dissimule ou dénature les faits. Le style de cette déposition qu’on reproduit textuellement a également son importance comme signe du temps :


« Depuis plus de trois ans, écrit le duc de Chaulnes, j’avais le malheur d’être la dupe du sieur de Beaumarchais, que je croyais mon ami, lorsque des raisons fortes m’engagèrent à l’éloigner. Il me revint plusieurs fois depuis ce temps qu’il tenait de très mauvais propos sur mon compte ; enfin, jeudi dernier, je trouvai le sieur Gudin, l’un de ses amis, chez une femme de ma connaissance ; il eut l’audace[3] de l’assurer, de la part du sieur de Beaumarchais, qu’il n’était pas vrai, ainsi que je l’avais dit, qu’une femme qualifiée se fût plainte de lui[4]. Voulant en éclaircir le démenti qu’il me faisait donner, et de tout (sic) ce qui m’était revenu, je fus chercher le sieur de Beaumarchais chez lui, avec le sieur Gudin, que je fis monter dans le même fiacre que moi pour qu’il n’eût pas le temps de le prévenir. Le sieur de Beaumarchais étant au tribunal de la capitainerie, je m’y rendis, je le pris dans une chambre à part pour lui dire que je voulais une explication. Il en fut si peu question à l’audience que je lui parlai d’une permission de chasse qu’il

  1. C’était le comte de Turpin.
  2. Ici le commissaire de police ajoute en note, ainsi que le sieur de Beaumarchais. Il est assez curieux de voir ce magistrat constater que le duc de Chaulnes « ne lui a même rien dit de désagréable, qu’il lui a témoigné même des égards, etc. »
  3. Il est peu probable que Gudin ait eu aucune espèce d’audace.
  4. Ceci a trait au propos déjà indiqué dans la déposition de Gudin, et qui, si l’on en croit son manuscrit inédit, se rapportait à quelque indiscrétion dont on accusait à tort Beaumarchais à l’égard d’une grande dame fille d’un maréchal de France, que Gudin ne nomme pas. On reconnaît sans peine que le duc ne veut pas avouer ici le véritable motif de sa fureur ; il l’avoue dans une autre lettre au duc de La Vrillière, où il se reconnaît coupable de s’être laissé égarer par un transport de jalouse colère.