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« Monsieur,

« Quelque témoignage de bonté que vous m’ayez fait connaître en me prenant sous votre protection, je ne peux vous dissimuler mes alarmes et mes craintes ; le caractère de l’homme violent que je fuis m’est trop connu pour ne me pas faire redouter un avenir qui serait aussi funeste à lui qu’à moi pour m’y soustraire et le sauver de son jaloux transport, je suis absolument résolue de me mettre au couvent. Quel que soit mon asile, j’aurai l’honneur de vous en informer. J’ose vous supplier qu’il soit pour lui inaccessible. Je joindrai cet important bienfait à la reconnaissance, dont je suis d’avance pénétrée pour vos offres de services. J’y compte si fort, qu’à l’abri de votre nom et sous votre autorité j’ai déjà placé ma fille au couvent de la Présentation, où dès ce soir M. l’abbé Dugué m’a fait le plaisir de la conduire. Daignez, monsieur, protéger également la mère et l’enfant, qui, après Dieu, mettent toute leur confiance en vous, confiance qui n’a d’égale que les sentimens respectueux avec lesquels j’ai l’honneur d’être, monsieur, votre très humble et très obéissante servante,

« Ménard. »


Le jour suivant, nouvelle lettre où Mlle Ménard persiste dans son projet de couvent. « Lasse, dit-elle, d’être sa victime (du duc de Chaulnes) et de me donner en jouet au public, je me fortifie de plus en plus dans la résolution de prendre le couvent pour partage. » Seulement, en relisant sa lettre, Mlle Ménard éprouve un petit scrupule de conscience, et elle ajoute au bas de la page, au moyen d’un renvoi correspondant au mot partage, ces mots : Du moins pour quelque temps ; on voit qu’elle craint que M. de Sartines ne s’exagère sa vocation.

Ce magistrat mande l’abbé Dugué, dont il vient d’être question, et le charge de trouver un couvent pour Mlle Ménard. Le soir même, l’abbé lui rend compte de sa mission dans une lettre qui m’a paru intéressante. Cette lettre n’est point d’un prêtre frivole, tel qu’on se figure volontiers un abbé du XVIIIe siècle employé par M. de Sartines dans une affaire de ce genre ; elle est d’un brave homme très respectable, très bon, très naïf, passablement embarrassé du rôle qu’on lui fait jouer, ayant peur de compromettre son caractère et craignant aussi beaucoup, comme Gudin, comme le commissaire de police, de s’attirer l’inimitié d’un duc et pair, d’autant que le duc de Chaulnes n’est pas encore en prison au moment où l’abbé Dugué écrit à M. de Sartines en ces termes :


« 15 février 1773.
« Monseigneur[1],

« Au sortir de votre audience, je me suis rendu au couvent de la Présentation pour voir, selon vos ordres, si on y pouvait trouver retraite pour la mère

  1. On ne donnait pas du monseigneur au lieutenant de police, mais le bon abbé Dugué n’y regarde pas de si près.