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tence pendant quinze jours, que déjà elle éprouvait le besoin de varier ses impressions, et elle rentrait brusquement dans le monde, rassurée d’ailleurs par la solidité des murailles du château de Vincennes, qui la séparaient du duc de Chaulnes.

Ici intervient Beaumarchais, qui avait approuvé le projet de couvent, et qui, placé lui-même sous les verrous du For-l’Évêque, trouve mauvais que Mlle Ménard n’ait point de penchant pour la réclusion. Il lui adresse la lettre suivante par l’intermédiaire de M. de Sartines :


« Il ne convient à personne de gêner la liberté d’autrui, mais les conseils de l’amitié doivent augmenter de poids en raison de leur désintéressement. J’apprends, mademoiselle, que vous êtes sortie du couvent aussi inopinément que vous y étiez entrée. Quels peuvent être vos motifs pour une action qui paraît imprudente ? Avez-vous craint que quelque abus d’autorité ne vous y retînt ? Réfléchissez, je vous prie, si vous êtes plus à l’abri dans votre maison d’être enlevée pour être mise au couvent, si quelque ennemi puissant se croit assez fort pour vous y retenir ? Les inquiétudes qu’on vous donnerait à ce sujet sont illusoires ou intéressées. De quel bonheur est-il donc pour vous de courir sans cesse d’un lieu à un autre, et quel attrait cet horrible logis où vous avez tant souffert a-t-il pour vous ? Dans la situation pénible de vos affaires, ayant peut-être épuisé votre bourse à payer d’avance un quartier de pension et à vous faire meubler un appartement de couvent, devez-vous tripler sans nécessité vos dépenses, et la retraite volontaire où la frayeur et le chagrin vous avaient conduite n’est-elle pas un asile cent fois plus convenable en ces premiers momens de trouble que l’horrible demeure dont vous devriez désirer d’être à cent lieues ? On dit que vous pleurez ! De quoi pleurez-vous ? Êtes-vous la cause du malheur de M. de Chaulnes et du mien ? Vous n’en êtes que le prétexte, et si, dans cette exécrable aventure, quelqu’un a des grâces à rendre au sort, c’est vous qui, sans avoir aucun reproche à vous faire, avez recouvré une liberté que le plus injuste des tyrans et des fous s’était arrogé le droit d’envahir. Je devrais bien faire entrer en compte ce que vous devez à ce bon et digne abbé Dugué, qui, pour vous servir, a été obligé de dissimuler votre nom et vos peines dans le couvent où vous avez été reçue sur sa parole. Votre sortie, qui a l’air d’une incartade, ne le compromet-elle pas auprès de ses supérieurs en lui donnant l’air de s’être mêlé d’une noire intrigue, lui qui n’a mis dans tout ceci que douceur, zèle et compassion pour vous ? Vous êtes honnête et bonne, mais tant de secousses redoublées peuvent avoir jeté un peu de désordre dans vos idées. Il serait bien à propos que quelqu’un de sage se fît un devoir de vous montrer votre situation juste comme elle est, non heureuse, mais douce. Croyez-moi, ma chère amie, retournez dans le couvent où l’on dit que vous vous êtes fait chérir. Pendant que vous y serez, rompez le ménage inutile et dispendieux que vous tenez contre toute raison : le projet qu’on vous suppose de remonter au théâtre est fou ; il ne faut vous occuper qu’à tranquilliser votre tête et rétablir votre santé. Enfin, mademoiselle, quelles que soient vos idées pour l’avenir, elles ne peuvent ni ne doivent m’être indifférentes. Je