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Le parti de la paix n’était pas composé de manière à raffermir l’esprit ébranlé du roi. On n’y voyait pas de politiques dignes de ce nom, de sévères intelligences capables de braver l’impopularité en vue d’un patriotisme mieux compris. C’étaient en général des caractères frivoles, des âmes égoïstes ou pusillanimes, qui ne cherchaient dans la paix que la satisfaction de leurs vulgaires intérêts et le maintien de leurs privilèges. Environné de tels adversaires et de tels amis, dépourvu de conseillers sérieux, livré à ses irrésolutions naturelles, Frédéric-Guillaume III pouvait-il éviter les fautes qui ont failli précipiter la Prusse au fond de l’abîme? Parmi ceux qui ont eu le plus de part aux imprudences du gouvernement prussien, la première place est au baron de Stein. Les documens que M. Pertz a recueillis sur ce point, et qu’il cite complaisamment à la gloire de son héros, doivent être appréciés d’une façon toute différente par l’historien impartial.

Au commencement de 1806, Napoléon, vainqueur à Austerlitz et maître de la monarchie des Habsbourg, offrait encore son alliance à la Prusse et voulait en faire un état puissant, qui sût, par sa neutralité, contenir la Russie et l’Autriche. Aucun rôle, à ce qu’il semble, ne devait mieux convenir à ce pays, que le grand Frédéric avait si vigoureusement associé aux entreprises et aux destinées de l’esprit moderne. Comment l’homme d’état qui avait débuté sous Frédéric ne sut-il pas comprendre la pensée de Napoléon? Une erreur généreuse sans doute, mais bien impolitique et bien funeste, est le secret de sa conduite : son amour passionné de l’Allemagne l’empêcha de voir nettement les nécessités nouvelles qui résultaient de la transformation de l’Europe. S’il eût aimé les principes des sociétés modernes autant qu’il chérissait sa patrie, il eût mieux apprécié les difficultés de sa tâche et se fût efforcé de concilier des devoirs contraires; le malheur de son esprit et la cause de toutes ses fautes, c’est qu’il appartenait du fond du cœur à l’école féodale. Qu’eût-il fallu en Prusse pour changer peut-être les destinées du monde? Un homme tel que le baron de Stein, ardent, énergique, résolu, animé comme lui de l’enthousiasme patriotique, mais issu d’une autre école et dévoué à ces principes de 89 qui avaient renouvelé tous les peuples. Ces principes, M. de Stein s’y rattachait forcément en certaines circonstances; il n’était pas librement inspiré de leur esprit et ne travaillait pas à les mettre d’accord avec ses devoirs de citoyen allemand : il préféra une politique moins compliquée, une politique plus conforme à la simplicité de ses passions. C’était une ame tout d’une pièce, c’était le type du grand seigneur patriote. Pendant la campagne d’Autriche terminée par la foudroyante victoire d’Austerlitz. Pendant les mois si agités de 1806 qui précèdent la rupture de la Prusse avec la France, au moment où le comte d’Haugwitz négocie à Paris avec Napoléon et rapporte le traité d’alliance du 15