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toute la rage du patriotisme humilié, se porta chez l’habile diplomate qui employait ses efforts à détourner la rupture de la Prusse et de la France, et brisa à coups de pierres les fenêtres de son hôtel. Ce diplomate était M. le comte d’Haugwitz. Le baron de Stein, dans l’étrange mémoire qu’on vient de lire, fait comme le peuple soulevé: il nous apparaît tel qu’un chef d’émeute à la tête de sa bande; il va briser les vitres, non pas seulement chez M. d’Haugwitz, mais chez les hommes les plus considérables de l’état, chez M. Beyme, chez M. Lombard, chez les confidens intimes et les collaborateurs du souverain dont il est lui-même le ministre; il met leurs hôtels au pillage. M. de Stein avait-il raison dans ces violens reproches qu’il adresse aux trois conseillers de Frédéric-Guillaume, surtout au secrétaire intime et au ministre des affaires étrangères? Il est évident que la passion a dicté ses paroles, et que, si le jugement contient au fond des vérités, l’exaspération du patriote doit nous mettre en défiance. M. Lombard et M. le comte d’Haugwitz étaient avant tout des hommes d’esprit, des caractères souples et insinuans; tous deux avaient rempli avec habileté des missions délicates. Ce qui distinguait ces deux hommes, principalement M. le comte d’Haugwitz, c’était un mélange de sang-froid et de grâce, un art merveilleux, toutes les séductions d’un esprit charmant, d’un esprit qui s’abandonne et qui se possède. Chez leur fougueux adversaire, rien de tel assurément : quelque chose comme les passions d’un janséniste teutomane, une rigidité hargneuse, un patriotisme bourru, une foi religieuse et nationale devenue du fanatisme, et qui repoussait, ainsi qu’une œuvre impie, tout accommodement avec la nécessité. Ni le comte d’Haugwitz, ni le baron de Stein, il faut bien le reconnaître, ne convenaient à la situation de la Prusse. Ce que conseillait à la Prusse une politique conforme à ses traditions et digne de son rang en Europe, c’était une alliance résolue avec les intérêts nouveaux représentés par Napoléon. Que fallait-il pour faire triompher une telle politique? Des hommes fidèles à l’esprit du grand Frédéric et pénétrés de l’amour de leur patrie. Cette union avec la France de 89, Stein la repoussait, nous l’avons dit, aveuglé par des préjugés de caste; le comte d’Haugwitz en faisait le but de ses efforts, mais son scepticisme bien connu paralysait l’action de ses talens, et si quelqu’un pouvait mener à bien cette grande affaire au milieu des passions ardentes déchaînées dans le peuple, au sein de l’armée, sur les marches mêmes du trône, ce n’était certes pas ce brillant esprit suspect aux patriotes et stigmatisé par le baron de Stein. M. de Hardenberg, qui a tant contribué, lui aussi, par un aveugle amour de son pays, à brouiller les affaires de la Prusse, avait trop subi l’influence de William Pitt, pour qu’on pût voir en lui le véritable homme d’état de l’Allemagne. Encore une fois, où était cet homme capable de donner aux intérêts de