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l’armée, devint pour l’opinion tout entière un symbole national. En voyant le dominateur de tant de peuples déclarer la guerre à un simple particulier, l’Allemagne comprit quelle était la valeur de cet homme et ce qu’elle pouvait attendre de lui. Stein quitta la Prusse en toute hâte. Traqué par la police, il réussit à s’enfuir en Autriche, et il y passa, à Prague d’abord, puis à Brünn, toute l’année 1809. Là, on le pense bien, sa haine contre Napoléon et son dévouement à l’indépendance de son pays vont s’exaltant toujours. Lacour de Vienne était en 1809 ce qu’avait été en 1806 la cour de Frédéric-Guillaume III. Les passions du peuple, partagées par les généraux et les princes, poussaient l’empereur François à la guerre. Seul l’archiduc Charles, qui devait commander l’année, hésitait à jouer sur les hasards d’une campagne le sort de la monarchie autrichienne. On ne l’écouta pas. Tandis qu’en Prusse le prudent ministre Altenstein répondait mal aux vœux enthousiastes de son prédécesseur, celui-ci, tourné uniquement vers l’Autriche, applaudissait aux colères et aux préparatifs de ce pays. Un brillant publiciste viennois, moins intéressant que le baron de Stein, puisque ses pamphlets étaient payés, mais d’une sincérité pourtant incontestable, M, de Gentz, entretenait avec l’homme d’état prussien une correspondance très active. Il est difficile de croire que M. de Stein n’ait pas contribué pour une grande part à l’exaltation de l’Autriche et à cette guerre de 1809, où tant d’efforts, tant de ressources, tant de talens militaires vinrent échouer à Wagram devant le génie de l’empereur. Ces désastres n’abattent pas le courage altier du patriote; il est plus que jamais occupé des moyens de régénérer l’Allemagne. Retiré à Brünn, il écrit (1810) un remarquable mémoire sur la nécessité d’arracher l’Autriche au joug du moyen-âge. Au moment où Napoléon, aveuglé par sa fortune, semble ne plus se confier que dans le droit de la force, le baron de Stein s’applique à rassembler, à féconder toutes les richesses intellectuelles et morales de sa patrie. « Que d’écrivains en Allemagne! que de savans ! que de professeurs aimés de la jeunesse! quelles généreuses phalanges d’étudians dans les universités! Voilà les ressources qu’il faut mettre à profit. Si la génération actuelle doit vivre et mourir sous le joug, pensons à la génération qui se lève; transformons-la par les moyens qui nous restent encore; rendons l’éducation libérale et forte, rendons la science patriotique! » Ainsi par le M. de Stein en son éloquent manifeste, et il semble déjà qu’on entende les étudians de Fichte entonner les hymnes de Théodore Koerner.

C’est le privilège des génies enthousiastes de pouvoir se consoler du présent en vivant d’avance au sein de l’avenir. M. de Stein avait à Brünn un ami, le général Pozzo di Borgo, qui s’associait à son espoir opiniâtre. « Napoléon ne gouverne pas, lui écrivait un jour le général; il joue avec l’univers, ludit in orbe terrarum; mais cela n’est permis