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nécessité de combattre cette prépondérance écrasante. L’Autriche, l’Angleterre et la France s’étaient unies par un traité secret, le janvier 1815, pour repousser les empiétemens de la Russie; au lieu de leur venir en aide, Stein s’emporte et déraisonne. Était-ce dans un intérêt sérieusement politique qu’il voulait fortifier la monarchie prussienne par l’adjonction de la Saxe? Avait-il le dessein d’opposer à la Russie un royaume puissamment constitué? Non certes, il n’obéissait qu’aux inspirations de sa colère. Il n’est même pas impossible que les violences du baron de Stein aient engagé les représentans des puissances ennemies de la Russie dans les fautes si regrettables qui furent commises alors. Il importait à tout le continent que la Russie ne passât pas la Vistule; mais, une fois la Russie devenue maîtresse de la Pologne, il fallait, pour la sécurité de l’avenir, fortifier le centre de l’Europe en donnant la Saxe à la Prusse et les bords du Rhin à la France. Le baron de Stein voulait le premier de ces dédommagemens, mais il le voulait avec une ardeur de représailles qui souleva l’indignation de l’Autriche; ce qui devait être considéré comme une nécessité politique, Stein voulait en faire une punition solennelle infligée au roi qui avait servi Napoléon; la France et l’Angleterre, par des motifs différens, ne pouvaient se séparer ici de l’Autriche, et la Saxe fut sauvée. Quant au second point, il dépendait du premier: si la Prusse n’était pas agrandie, la France ne pouvait plus prétendre aux bords du Rhin. C’est ainsi que les passions du baron de Stein, très habilement mises à profit par une diplomatie supérieure, venaient sans cesse en aide aux combinaisons de la Russie.

Si M. de Stein ne s’apercevait pas des services involontaires qu’il rendait au tsar, il voyait bien qu’il n’avançait pas dans ses chimériques plans de restauration allemande. Son influence décroissait de jour en jour. Combien de fois ne s’est-il pas trouvé seul de son parti ! Il était seul, et pourtant, ce qui lui rendait cet isolement plus pénible, on était sans cesse obligé de s’adresser à ses lumières pour des informations de toute sorte sur l’état des différens pays qu’il avait administrés depuis plusieurs mois et que nul ne connaissait aussi bien. Chargé d’abord de l’organisation du gouvernement provisoire en Saxe, placé ensuite à la tête de l’administration centrale pendant l’invasion de la France, il était mieux renseigné que personne sur maintes affaires de détail. On le consultait, on lui demandait des notes et des rapports, et cette position, dont tout autre eût tiré bon parti, n’augmentait en rien son influence. Pendant toute la durée du congrès de Vienne, le baron de Stein, encore si écoulé la veille, n’est plus que le dépositaire de dossiers importans sur lesquels prononcera un tribunal étranger. Consulté, mais sans crédit, puissant par son rôle passé, mais isolé par ses passions haineuses, son orgueil va s’exaltant chaque jour davantage.