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bles, il dit à l’homme : Dégage-toi de ces liens, tu n’auras plus ni l’obligation de la vie régulière ni la douleur des séparations éternelles. Le socialisme est logique en supprimant tous ces points par où l’homme offre perpétuellement prise au malheur ; il est logique au détriment de l’ame humaine, qui ne se sent jamais mieux elle-même qu’au milieu de ses efforts et de ces épreuves, et qui n’est point jalouse encore d’être élevée à la dignité et au bonheur des brutes, comme disait M. Royer-Collard dans une discussion d’un autre genre. Heureusement nul gouvernement régulier n’est tenu de faire, de sanctionner et moins encore de réaliser de semblables promesses de félicité universelle. Un gouvernement a bien assez à faire de donner aux hommes le degré d’équité et de sécurité possible dans leur vie morale et matérielle, de les préserver, s’il peut, des catastrophes, de protéger leurs intérêts, d’ouvrir des voies à leur activité et à leur industrie. Telle est sa part, et il y a là de quoi suffire aux plus grandes et aux plus légitimes ambitions.

Quand une transformation comme celle qui se prépare dans la vie publique de la France est sur le point de s’accomplir, elle devient naturellement la chose dominante. C’est une révolution véritable, et il est tout simple qu’il y ait un instant où on en sente la gravité. Seulement, à la différence des révolutions ordinaires, celle-ci s’accomplit dans l’ordre, dans la paix, avec une sorte de régularité mathématique. On en voit les phases ; on compte les pulsations de cette république mourante, qui se sent elle-même devenir empire. Et comme rien n’est troublé, rien n’est ébranlé, — rien aussi n’est interrompu. La vie habituelle suit son cours ; l’humeur publique est à ses curiosités et à ses préoccupations, à ses passe-temps et à ses labeurs. Au milieu de tous les traits qui caractérisent le moment actuel à ce point de vue de la vie ordinaire, le fait le plus saillant peut-être, c’est un mouvement considérable d’affaires et d’intérêts. L’esprit de commerce et d’industrie est dans tm enfantement perpétuel ; les entreprises se multiplient. Les comptes-rendus de la Banque sont un des thermomètres ordinaires du développement industriel, parce que la stagnation ou l’activité de ses opérations de crédit correspond à un mouvement analogue dans les affaires. Ces comptes-rendus ne sont point sans intérêt depuis quelques mois. Un des derniers présentait un accroissement de 30 millions dans le portefeuille de la Banque ; le dernier offre encore un progrès de 25 millions. Cela ne prouve-t-il pas la tendance des capitaux à sortir de leur torpeur, pour aller alimenter toutes les transactions et le travail ? Chemins de fer, crédit foncier, docks parisiens, combinaisons industrielles de tout genre, tous ces objets, toutes ces créations marchent ensemble du même pas et avec une rapidité d’essor qui redouble chaque jour. C’est là aujourd’hui que semble refluer l’activité publique, et c’est peut-être aussi de préférence sur cet ordre de questions que se fixe l’attention du gouvernement, s’il est vrai qu’avec l’empire doivent coïncider de nouvelles mesures financières. Que les esprits se tournent avec une sorte de violence vers le développement des travaux matériels, des grandes entreprises du crédit, de l’industrie et du commerce, il n’y a là rien assurément qui soit de nature à exciter quelque inquiétude. Le danger, c’est l’excès de cette ardeur aventureuse si souvent portée à jouer avec le hasard, c’est la fièvre des spéculations, c’est l’activité factice à côté de l’activité réelle. Quoi qu’il en soit, ce mouvement existe, et il est un des élémens les plus caractéristiques de notre situa-