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incomplète. Ce serait une œuvre digne des Mabillon, des Martène et des Claude de Vert, de la reconstituer dans son ensemble, et nous engageons vivement M. l’abbé Corblet à tourner ses travaux de ce côté, à donner à ce sujet important le développement qu’il comporte, car c’est trop peu, même pour l’indiquer, qu’un chapitre de quelques pages dans un manuel élémentaire.

Si nombreuses qu’aient été les études entreprises dans ces dernières années sur l’architecture religieuse, il reste encore bien des faits à élucider, et, pour peu que l’érudition soit aidée par la sagacité naturelle, on peut encore espérer des découvertes. Nous en trouvons la preuve dans le livre de M. Félix de Vernheil, l’Architecture byzantine en France. Les édifices byzantins, on le sait, se distinguent par la coupole, qui fait la base de toutes les combinaisons : or, en étudiant les églises du centre de la France, M. de Vernheil a constaté que, dans l’Aquitaine, on en trouve un assez grand nombre, quarante environ, qui s’isolent complètement de toutes les autres, et qui forment dans l’art national un groupe tout-à-fait à part. Le monument le plus remarquable de ce groupe, celui qui paraît avoir servi de modèle à tous les autres, c’est Saint-Front de Périgueux. Ces faits une fois constatés, M. de Vernheil s’est mis à étudier dans les moindres détails cette remarquable église, commencée, selon toute apparence, vers 990 et achevée en 1047; et de cette étude est résultée une découverte nouvelle, à savoir : que Saint-Front de Périgueux est une exacte imitation de Saint-Marc de Venise, lequel Saint-Marc, à son tour, n’est qu’une copie de Sainte-Sophie de Constantinople. La comparaison de ces divers monumens entre eux a fourni à M. de Vernheil l’occasion d’étudier en détail l’art byzantin, en même temps qu’il cherchait dans les faits historiques l’explication de ce singulier problème architectural. Est-ce un architecte aquitain qui, guidé en Italie par un pèlerinage, a rapporté dans son pays le modèle de la basilique vénitienne? Est-ce l’un des constructeurs de Saint-Marc qui, poussé par la vie aventureuse des artistes du moyen-âge, est venu s’établir à Périgueux? Quels sont les rapports qui ont existé entre l’Aquitaine et l’empire de Byzance? Telles sont les questions que se pose M. de Vernheil, et la discussion à laquelle il se livre, sinon pour les résoudre, du moins pour les éclairer, lui fournit l’occasion de mettre en lumière une foule de faits curieux, qui, jusqu’à ce jour, n’avaient point été remarqués, tels que l’établissement d’une colonie de moines grecs, en 1040, dans l’Aquitaine, et l’existence de colonies vénitiennes à Limoges et à Souvigny. Cette dernière ville avait même emprunté à Venise une foule de lois et d’usages; elle s’était donné un gouvernement sénatorial, ayant un baron pour chef, et, comme Venise, elle avait pris saint Marc pour patron.

Il y a beaucoup à apprendre dans le livre de M. de Vernheil, par la simple raison que l’auteur a une science fort étendue, et que, par une méthode parfaite, il en fait valoir toutes les ressources. Son travail est disposé avec une rigueur géométrique que l’on rencontre rarement dans les ouvrages du même genre; tous les faits accessoires sont bien groupés. Le morceau sur l’originalité native de notre architecture nationale, morceau qui termine le livre, est d’une excellente critique, et nous pensons, comme l’auteur, que l’on a singulièrement abusé chez nous du mot byzantin; que le type de l’église de Ravenne, de Saint-Marc de Venise, de Saint-Front de Périgueux, n’est, en France et en Italie, qu’un type accidentel qui n’a nullement modifié ni l’art