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Américains ont besoin de merveilleux. Les poètes et les romanciers américains n’ont point pour les soutenir la magie des souvenirs qui existe chez les peuples qui ont beaucoup vécu; autour d’eux, ils voient un peuple neuf, positif, pratique, peu disposé à la rêverie, et dont l’esprit et les mœurs actuels ne peuvent offrir aucun élément de merveilleux ou d’idéal. Que font donc les romanciers américains? Ils idéalisent tout à tout prix, ils romantisent les choses les plus vulgaires et les plus ordinaires. Les bruits de la rue deviennent semblables aux bruits des rêves; les lumières éclairent le soir les boutiques des marchands comme des palais des Mille et Une Nuits; cette petite fille est une fée, cette jeune femme une magicienne, ce vieillard à cheveux blancs et à belles rides un sage; ce paysan est un être en rapport avec les forces cachées de la nature; ce jeune gentleman a la taille d’un Walter Raleigh ou d’un sir Philip Sidney; ce bourgeois qui, à première vue, n’est qu’un personnage d’un bon sens un peu vulgaire, devient un clown tel que Shakspeare n’en a jamais inventé. Il y a plus, les Américains idéalisent même les choses inanimées, même les choses scientifiques: une expérience électrique, une séance de magnétisme animal, une combinaison de chiffres, l’aiguille aimantée, la gravitation des astres, les lois de notre planète, deviennent des élémens de poésie. Tous ceux qui ont lu les contes d’Edgar Poë, — le Scarabée d’or, la Descente au Maelstrom, les Voyages d’Hans Pfaall à la lune, — savent à quoi s’en tenir. Poë met en roman le calcul des probabilités et transforme les axiomes des mathématiques en agens naturels et surnaturels. Il y a plus de ballons et d’appareils chimiques dans ses contes que d’hommes et de femmes. Le peuple américain partage la tendance de ses écrivains; il a des superstitions qui ont un caractère scientifique. Cela se conçoit : l’imagination, cherchant son aliment et ne pouvant plus croire aux anciennes superstitions, se tourne vers la première chose venue qui pourra l’étonner; elle ne croit plus aux sorciers, mais elle croit aux magnétiseurs; le diable ne l’effraie plus, mais la lumière électrique l’émerveille et les ballons l’amusent. Cette secte dite des spiritualistes, qui cause avec les esprits des morts par l’intermédiaire de sujets somnambuliques, s’appuie sur le magnétisme animal. Il en est du socialisme comme des merveilles de la science ou des expériences du magnétisme; le socialisme a ce même caractère de merveilleux. Des attractions passionnelles, une humanité faite pour le bonheur, la perspective de joies sans fin, un nouveau ciel et une nouvelle terre évoqués par de toutes-puissantes formules, tous les hommes devenant des dieux olympiens, et l’enfer lui-même devenant une habitation suffisamment comfortable : — il y a vraiment de quoi séduire dans tout cela. Les socialistes eux-mêmes peuvent très facilement se transformer en personnages plus ou moins merveilleux, en