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au nom du droit reculer par toute l’Europe la tyrannie armée du sceptre et du glaive, saint Louis brisant par sa politique et par son épée les mailles du réseau qui enlaçait les peuples, et, par de salutaires usurpations, étendant les droits du trône afin de leur en attribuer le bénéfice, — tous les princes de son sang travaillant à relever les populations de leur abaissement séculaire et à préparer la triple unité des lois, des races et du territoire, — tels furent les prédécesseurs des constituans dans la carrière dont ils atteignirent l’extrême limite, en la dépassant bientôt après dans l’élan d’une impétueuse ardeur.

Par ses expansions successives au sein des races conquises, la pensée chrétienne avait provoqué de siècle en siècle les diverses transformations de l’état social. Le mouvement de 89 était donc le terme prévu et nécessaire de la révolution politique à laquelle tant de générations avaient concouru. Aussi l’histoire atteste-t-elle que le clergé sanctionna par son chaleureux concours dans le pays, dans les bailliages et jusqu’au sein de l’assemblée nationale, l’œuvre finale de l’émancipation publique, et qu’aucun corps ne seconda d’abord plus loyalement la révolution qui s’opérait dans la constitution du pouvoir, dans l’ensemble des lois civiles et des institutions administratives, par la substitution d’un principe de droit écrit à un principe de tradition historique ; mais côte à côte avec l’idée chrétienne cheminait une idée philosophique que la société du XVIIIe siècle portait dans ses flancs comme un ver rongeur, et qui se résumait dans la négation absolue de l’ordre surnaturel. Les hommes de 89 subirent tour à tour et parfois simultanément une double influence qui interdit de caractériser cette première période de la révolution française par un seul trait, comme voudrait le faire M. Laferrière. Lorsqu’à la voix de Mirabeau, improvisé théologien, l’assemblée constituante poursuivait le clergé dans sa discipline et sa hiérarchie, et qu’une majorité aveugle autant que passionnée accueillait les sarcasmes lancés des hauteurs du scepticisme et du dédain, elle n’agissait pas apparemment sous l’impulsion d’une pensée chrétienne. En allumant sans nul prétexte le feu destiné à la dévorer bientôt elle-même, l’assemblée nationale cédait, non point à des rancunes jansénistes, qui n’intervinrent que plus tard dans l’œuvre désastreuse de la constitution civile, mais aux incurables antipathies que nourrissait contre le christianisme l’école dont la plupart de ses membres avaient sucé le lait. Lorsque la convention versait à torrens le sang du clergé catholique, elle suivait le cours de la pensée qui avait inspiré la constituante ; l’une avait provoqué les résistances, l’autre tentait de les briser, et c’était assurément sur ceux qui avaient imposé des prescriptions impossibles qu’il fallait faire retomber tout le sang que de généreux refus faisaient couler.

M. Laferrière passe rapidement, et peut-être est-ce un peu pour le