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étaient le résultat de son art nécromantique. Cependant Silas Foster, qui près de là était appuyé contre un arbre, vêtu de son habituelle blouse bleue et fumant un brûle-gueule, faisait plus pour désenchanter cette scène avec son regard d’yankee observateur, sarcastique et rusé, que n’auraient pu faire, pour la rendre fantastique et étrange, vingt sorcières et vingt nécromanciens.

« Un peu plus loin, quelques domestiques et quelques échansons, tous vêtus à l’ancienne mode, tous avec des nez démesurément rouges, préparaient un dîner sur la terre couverte de mousse et de feuilles, pendant qu’un gentleman cornu et à longue queue (que je reconnus pour être le musicien endiablé qui se montra autrefois à Tam O’Shanter) préparait son violon et invitait toute cette société bigarrée à une danse générale avant de prendre part au festin. Ils se prirent les mains et formèrent une ronde, tournant avec tant de rapidité, de folie et de gaieté au son de cette musique satanique, que toutes les bizarreries particulières du trémoussement de chacun d’eux se fondaient dans une sorte d’unité compliquée capable de tourner la tête des simples spectateurs; puis ils s’arrêtèrent tout à coup et partirent d’un grand éclat de rire. En même temps les feuilles d’automne, qui, pendant toute la journée, avaient hésité à se détacher, ébranlées maintenant par le mouvement de l’air, vinrent en tourbillonnant tomber comme une averse sur les joyeux amis.

« Puis, comme ils reprenaient leur souffle, il s’ensuivit un silence au milieu duquel, chatouillé par l’idée de surprendre mes graves compagnons occupés à des mascarades, je ne pus m’empêcher d’éclater à mon tour.

« — Chut! dit la jolie bohémienne; qui donc est-ce qui rit?

« — Quelque profane indiscret, dit la déesse Diane. Je vais lui envoyer une flèche dans le cœur ou le changer en cerf, comme je fis autrefois pour Actéon, s’il s’avise de regarder par derrière les arbres.

« — Je vais scalper sa chevelure, dit le chef indien, brandissant son tomahawk et lui faisant pourfendre l’air.

« — Je lui ferai prendre racine dans la terre au moyen d’un enchantement que j’ai au bout de ma langue ! cria la sorcière Moll Pitcher, et la mousse croîtra sur lui avant qu’il ne soit délivré.

« — La voix était celle de Miles Coverdale, dit le musicien endiablé en remuant la queue et en secouant ses cornes; c’est ma musique qui l’a attiré ici. Il est toujours prêt à danser aux sons de la musique du diable.

« Une fois avertis, ils reconnurent tous ma voix à la fois et s’écrièrent simultanément :

« — Miles! Miles! Miles Coverdale, où êtes-vous? Zénobie! reine Zénobie! voilà un de vos sujets qui se cache dans les bois. Commandez-lui d’approcher et de vous rendre ses hommages.

« La troupe fantastique se mit à courir tout entière à ma poursuite, si bien que j’avais l’air d’un poète poursuivi par des chimères »


La scène est charmante vraiment, mais quels singuliers réformateurs! Pauvres enfans qui avez entrepris de régénérer le monde! cette mascarade est une scène du Décaméron, une scène de la comédie italienne, une scène des Joyeuses Commères de Shakspeare; c’est un de ces divertissemens que vos ancêtres qualifiaient de païens, un de ces