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livre, car ce crime contre nature est le châtiment inévitable des existences fausses, des passions artificielles. Quand la vie est établie sur des principes faux et que par conséquent elle ne peut plus se continuer, le suicide est le dénoûment logique de la crise. Et ainsi l’éternel régulateur du monde a donné pour châtiment aux désirs qui s’échappent hors des bornes de la nature un forfait également contraire à la nature.

Nous avons essayé de donner une idée de ce livre subtil et qui se dérobe à l’analyse. Le Roman de Blithedale a des parties excellentes, mais il est trop métaphysique, et l’élément dramatique du roman est pris dans un monde trop exceptionnel. Sous ce rapport, nous préférons certains autres livres de M. Hawthorne; mais ce qui est digne de tout éloge, c’est le style. D’un bout à l’autre du récit, il court tantôt rapide, tantôt capricieux, tantôt voluptueux et immatériel. Jamais M. Hawthorne n’avait déployé autant de qualités descriptives et de puissance d’expression. Parmi les merveilleuses descriptions que contient le Roman de Blithedale, nous citerons celles de l’ermitage de Coverdale à Blithedale, du café où il rencontre le vieux Moodie, de la salle de village où il assiste à une séance magnétique. Tous ces lieux, vulgaires par eux-mêmes, prennent, décrits par la plume de M. Hawthorne, des apparences de palais, des aspects tels que ceux que pourraient présenter les retraites de Puck et d’Ariel. Son style est, pour ainsi dire, impersonnel; il enveloppe sa pensée, mais il ne lui impose pas un vêtement nécessaire; il est mystérieux quand la pensée est mystérieuse, subtil quand la pensée est subtile, ferme enfin quand elle est ferme.

Quelles conclusions tirer d’un tel livre? Écoutons M. Hawthorne lui-même; il décrit ses impressions en assistant à une séance de magnétisme.


« Près de moi un homme pâle, en lunettes bleues, racontait des histoires plus étranges que toutes celles qu’on pourrait entasser dans un roman; il les racontait avec une simplicité et une précision telles, il y mêlait si peu d’imagination, que ceux qui écoutaient étaient irrésistiblement portés à accepter ces récits comme vrais et à les ranger dans la catégorie des faits établis. Il cita des exemples du pouvoir miraculeux qu’un être humain peut avoir sur la volonté et les passions d’un de ses semblables; cette domination était telle que le chagrin le plus fixe, le plus enraciné dans le cœur disparaissait comme une ombre, et que l’amour le plus indestructible et le plus ancien se fondait comme une vapeur. Au commandement du sorcier, la jeune fille qui sentait encore sur ses lèvres le baiser brûlant de son amant se détournait de lui avec une indifférence glaciale; la jeune femme nouvellement veuve, et dont le cœur, aurait-on dit, était enfermé pour toujours dans la tombe avec la dépouille de son jeune époux, pouvait oublier cette mémoire chérie avant que le gazon eût commencé à pousser autour de la pierre du tombeau.