Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 16.djvu/88

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
82
REVUE DES DEUX MONDES.

contractante. À la féodalité absolue ou dominante ils arrachent tous les signes, tous les droits de servitude qu’elle avait imposés aux personnes et aux biens ; à la féodalité contractante et entraînée dans la voie des concessions territoriales, ils tiennent compte de ces deux grands titres de concession noble et roturière : le contrat d’inféodation et le contrat d’accensement ou de bail à cens. Tout le système anti-féodal de l’assemblée nationale est placé sous ce double point de vue. » L’application de ce principe fit disparaître la main-morte, soit qu’à titre de personnelle elle portât sur la personne même de l’assujetti, soit qu’elle fût réelle et qu’elle portât sur certaines terres serviles, dont il fallait abandonner la possession pour dépouiller la servitude. Le main-mortable était soumis à des services de corvées et de tailles seigneuriales qui affectaient sa propriété et à des prohibitions de donations entre vifs et testamentaires qui n’affectaient pas moins gravement sa capacité civile. La main-morte, sous forme personnelle, réelle et mixte, existait encore en 1789 dans dix coutumes du royaume, et particulièrement en Bourgogne, dans le Bourbonnais et le Nivernais ; mais les droits dérivant de la servitude ou qui la représentaient étaient bien plus généralement répandus. Parmi ceux-ci, la taille seigneuriale, le droit de fouage et de monnayage, le droit de péage, le droit de pulvérage, soit qu’ils s’exerçassent encore, soit qu’ils eussent été remplacés par des redevances, représentaient tous, ou dans leur origine ou dans leur transformation, des servitudes personnelles. Il en était de même des banalités et des corvées qui portaient sur la personne elle-même et restreignaient l’usage de la liberté naturelle dans tous les actes de la vie usuelle. Toutefois les corvées imposées sur le fonds furent seules déclarées rachetables, conformément à l’équitable distinction faite entre les deux périodes de l’époque féodale.

En effaçant les traces de la servitude personnelle, la constituante dut effacer aussi des contrats émanés de la féodalité tout ce qui établissait des rapports de dépendance et d’inégalité dans la condition des hommes libres. « Vassal et seigneur voyant disparaître leur qualité respective, il n’y avait plus foi et hommage, aveux et dénombrement ; de même du censitaire au seigneur il n’y avait plus obligation personnelle de déclarations à terrier. Tout ce qui dépassait la simple qualité de créancier et de débiteur, de vendeur et d’acquéreur, tomba devant l’égalité de la loi nouvelle… Le privilège féodal accompagnait et distinguait les hommes jusqu’au sein de l’expiation du crime. La loi égalisa les coupables sous le niveau du châtiment. À côté de l’égalité des peines, l’assemblée mit le dogme moral, que les fautes sont personnelles et que l’expiation doit l’être : dogme chrétien contraire à l’esprit germanique et féodal, qui du crime ou de la querelle d’un homme faisait le crime ou la querelle de toute sa famille. La flétrissure légale qui était imprimée