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linceul de cire afin d’y envelopper ton corps, et je te rendrai les derniers devoirs comme si nous nous étions aimés.

« Le corps d’Attila resta sans mouvement. Un deuil immense s’empara de ses proches, et l’illustre femme exécuta ce qu’elle avait promis. »


La tragédie dans l’Atla-Qaida ne finit pas encore là. Gudruna, lorsqu’elle voit Attila mort, descend dans la cour, lâche les chiens de garde, et, prenant un tison allumé, met le feu au palais. Bientôt la flamme consume tous les nobles huns, grands et petits, hommes et femmes, auprès du cadavre de leur roi : c’est l’holocauste expiatoire qu’elle envoie aux mânes de ses frères. « Heureux, s’écrie avec un enthousiasme digne de la férocité de son héroïne l’auteur de l’Atla-Mâl, heureux le père qui a pu engendrer une telle fille, car il vivra dans la postérité, et Gudruna sera chantée sur toute la terre, partout où les hommes entendront raconter l’histoire de ces discordes acharnées! »

Si je ne me trompe, nous voici plus près d’Ildico que nous n’avons encore été; elle nous apparaît ici sous une image beaucoup plus nette, sous une forme bien mieux arrêtée que dans Hilldr la Danoise ou dans Hildegonde de Burgondie. Ce qui différencie surtout les deux figures historique et traditionnelle, ce sont les nécessités du cadre dans lequel celle-ci est emprisonnée. La liaison de la fable de Sigurd avec la tradition d’Attila voulait qu’une veuve remplaçât la jeune fille de l’histoire, et qu’une mort lente, préparée par des péripéties nombreuses, amenée fatalement par l’héritage du trésor maudit de Fafnir, remplaçât pour Attila la mort précipitée qui l’avait frappé dans la nuit même de ses noces. Il faut se dire aussi qu’un simple meurtre, si atroce qu’il fût, n’était pas de nature à contenter les poètes scandinaves, qui avaient besoin de tableaux un peu plus émouvans, tels, par exemple, que celui d’un père qui mange le cœur de ses enfans égorgés par leur mère. Malgré ces altérations, que le mélange du fabuleux et du réel peut expliquer, on ne saurait méconnaître, à mon avis, dans les poèmes de l’Edda, un souvenir direct d’Attila, une impression contemporaine poétisée, comme elle pouvait l’être, dans la patrie des Berserkers. Quoi qu’il en soit, cette poésie avait une grandeur qui saisissait l’imagination et qui assura sa vogue dans toute l’Europe germanique. Elle revint donc de la Scandinavie dans l’Allemagne du midi, rapportant sur les bords du Rhin et du Danube, avec les personnages réels qu’elle y avait empruntés, ses propres fictions et son cadre mythologique; mais de nouvelles destinées l’y attendaient, et la tradition scandinave, bien qu’adoptée dans sa forme, reçut au fond des changemens qui la rendirent méconnaissable. Cette espèce de révolution s’opéra au Xe siècle, époque où commencent les poèmes germaniques du cycle des Niebelungs. Quel fut le caractère de cette révolution, et quelle cause historique peut-on lui assigner? C’est ce qu’il me reste à examiner pour terminer la seconde partie de ces études.