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de Rœskild J’ai vu les églises modernes des grandes villes du Danemark et de la Suède. Quelle désolation dans les premières, où se conservent encore les débris aujourd’hui couverts de poussière d’une grande splendeur religieuse! Quel vide et quel froid dans les autres, même quand la parole descend de la chaire sur une assistance nombreuse, même quand les psaumes retentissent, en présence des autels sans sacrifices et des murs sans tableaux ni symboles!

Ce ne fut pas seulement la verve lyrique du moyen-âge qu’Œhlenschlæger voulut rendre à ses concitoyens; il crut aussi que leur patriotisme ne serait pas insensible au récit des grandes actions de leurs pères. Il ouvrit à tous les anciennes sagas islandaises, et en fit jaillir une autre source de poésie. De même que le mouvement littéraire de la renaissance dans l’Europe occidentale s’était accompli jadis sous l’influence des souvenirs de l’antiquité classique, ainsi la nouvelle école dont Œhlenschlæger allait être le fondateur allait trouver dans l’ancienne mythologie du Nord assez de beaux récits pour lui servir d’excitation et de modèles. L’histoire poétique du passé devait enfanter la poésie de l’avenir, les travaux de l’esprit devaient tourner au profit du cœur : tel fut l’enseignement qu’Œhlenschlæger voulut donner à ses concitoyens dans ses poésies Scandinaves, dans ses tragédies de Palnatoke, Hakon Jarl, et surtout dans son grand poème des Dieux du Nord.

Y eut-il dès-lors, y a-t-il aujourd’hui même une littérature danoise différente par l’esprit et le goût des autres littératures de l’Europe et en particulier de la littérature allemande? Oui, à n’en pas douter. Œhlenschlæger, comme plusieurs écrivains danois, a souvent, il est vrai, traduit lui-même en allemand ce qu’il publiait à Copenhague, mais c’était pour obéir à une sorte d’usage qui datait de l’époque où les rois et la cour de Danemark étaient allemands d’origine et de cœur. Les différends qui se sont élevés entre les deux pays, les guerres qui en ont été la suite, ont plus que jamais séparé les esprits et les littératures. Il existe d’ailleurs une grande différence entre le génie de l’Allemagne, profond et mystique, et celui du Danemark, plus net et plus flexible. Les Danois détestent même les habitudes d’esprit et, il faut le dire, jusqu’au caractère des Allemands. Quant à l’Angleterre, les souvenirs de 1801 et de 1807 sont trop vivans encore pour que les Danois se sentent fort attirés vers elle; Œhlenschlæger enfin les a détachés de l’imitation française. Ils possèdent d’ailleurs leurs qualités tout-à-fait particulières. Ils ont, pour ce qui concerne l’art dramatique, une verve qu’on pourrait comparer à l’humour des Anglais, si elle n’était pas plus délicate, d’un goût plus sûr et plus éloigné du grotesque. Ils sont bien doués pour le conte et l’apologue, qui demandent des qualités semblables à celles de la poésie dramatique, et parmi