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homo et le Juif, offrent plus d’épisodes et d’action. Peut-être la forme du premier est-elle trop pompeuse pour le fond, qui n’est après tout qu’une épopée satirique tirée de la vie bourgeoise; le second de ces livres a du trait, de l’émotion, de la grandeur, et l’on ne refusera pas une spirituelle finesse à l’auteur qui, écrivain politique en même temps que romancier, disait à la fin de septembre 1848 : « Robert Blum est un des principaux personnages de la première scène du premier acte de la révolution allemande. Il mourra probablement d’une ou d’autre façon avant que le premier acte ne soit achevé; mais il sera resté conséquent avec lui-même, car il tombera comme un martyr, laissant après lui une secte demi-républicaine, demi-catholique, demi-patriote, qui s’écriera avec gémissemens : « Il n’y a pas de Dieu, mais « Blum est son prophète! » Quelques jours après que ces lignes étaient écrites, Blum était fusillé dans les fossés de Vienne, et ses partisans célébraient son apothéose dans leur langage de mystiques et d’athées.

M. Blicher enfin s’est fait le peintre spirituel des mœurs et des vertus populaires, c’est lui qui raconte en vers élégamment écrits la fête de village, la vie paisible de la campagne, et les bonnes actions qu’inspire à l’homme des champs la simplicité de cœur :


« La tempête agitait les eaux du Cattegat; une petite barque était en mer; elle avait lutté toute la nuit sans espoir. Elle était conduite par un bon matelot, de ceux qui ne savent pas trembler. Sous la première étreinte de la mort éclate le courage danois.

« Il lutta, puis sa barque fut emportée au hasard, jouet des vents et des flots. A l’aurore, il se vit en face d’un écueil, et sa barque courait s’y briser.

« Il n’avait avec lui qu’un enfant. Il le saisit d’un bras vigoureux. — Allons, s’écrie-t-il, la froide couche est prête; à quoi bon pleurer?

« Les vagues se précipitent avec fracas, la barque se précipite en craquant sur les flots; il tient l’enfant de la main gauche, et de l’autre il s’attache au cordage.

« Il voit la terre, mais, hélas! entre elle et lui l’étroit abîme. Il ne touchera plus le rivage béni.... à moins que du ciel ne descende un secours.

« Au même instant arrive un paysan sur les hauteurs du rivage; il s’appelle Sœren Kanne. — Cette barque, dit-il à son père, cette barque va périr!

« Il court à ses deux chevaux, qui étaient attachés sur la colline, et revient hors d’haleine vers l’écueil.

« Le vieux père gémissant veut l’arrêter du geste : — Mon fils, lui crie-t-il, tu vas noyer les chevaux et toi-même, et la barque est déjà perdue!

« Mais Sœren saute sur le cheval qui est à gauche; il jette un regard vers son père : — S’il m’arrive malheur, mon père, soignez bien ma Catherine!

« Puis il frappe son cheval du talon de son sabot et le lance dans la mer, pendant qu’il entraîne l’autre en le frappant du pieu auquel il était attaché. Les voilà tous deux qui nagent.

« Le voilà enfoncé dans l’abîme, au milieu des flots écumans Personne n’aurait pu croire qu’il atteindrait la barque.