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« Il court, il court à cheval sur les vagues ; voyez-vous les oreilles des chevaux ; on voit leurs têtes ; voici leurs crinières ; il touche à l’embarcation.

« — Ami ! s’écrie-t-il, monte ici promptement, et tiens ferme ton garçon par sa jaquette.— C’est fait ; les voilà tous à l’ouvrage ; c’est pourtant un autre ouvrage que de labourer son champ !

« Les vagues les couvrent et mugissent, mais ils se tiennent sur leurs chevaux serrés l’un à l’autre. Voyez ! ils ont atteint la terre ; les voilà qui s’élancent, sauvés tous trois, sur le rivage.

« A genoux tous les trois, ils font leur prière. — Maintenant, dit Sœren, venez avec moi vous mettre à l’abri... Tenez, regardez là-bas, la barque est en pièces.

« Et l’enfant chancelait comme un roseau sous les coups du vent, et le matelot battait des bras pour s’échauffer. — Qu’est-ce que nous pouvons faire pour vous remercier ? dit-il au paysan. — Me suivre et vous réchauffer, répondit Sœren.

« Et il soigna le matelot et l’enfant ; ils eurent soupe et viande chaudes, et ce fut là tout le paiement qu’il demanda, le pauvre, le brave paysan Sœren Kanne.

« Ainsi devez-vous, hommes danois, vous aimer les uns les autres et vous offrir de bon cœur, dans la mort ou le danger, pour vous sauver mutuellement.

« Ainsi devez-vous vous entr’aider, que vous labouriez la terre où les flots ! Fionie, Jutland ou Seeland, c’est tout une seule famille. Que Dieu, notre père à tous, nous conserve fidèles et inséparablement unis ! »

Une place toute particulière, parmi les conteurs contemporains du Danemark, doit être réservée à M. Andersen. Il est actuellement le plus populaire, ou peu s’en faut, des écrivains du Nord. Son talent est surtout, au moins dans ses contes, naturel et sans étude. Il n’en représente que mieux pour nous la simplicité et la douceur, mais en même temps la vivacité ingénieuse, qui sont, à n’en pas douter, les caractères distinctifs et comme le fonds de la littérature de son pays. Un court fragment fera juger des qualités de cet aimable esprit.

« Grand’mère est bien vieille ; elle a des rides et des cheveux blancs, mais ses yeux sont brillans et doux ; elle raconte les plus belles histoires et elle a une robe de soie à grandes fleurs qui fait du bruit en frôlant contre les murs. Grand’mère sait beaucoup, car elle a vécu long-temps, et bien avant père et mère, cela est sûr. Grand’mère a un livre de cantiques avec un fermoir d’argent, et elle lit très souvent dans ce livre. Au milieu du volume est une rose aplatie et desséchée, et qui n’est pas si belle que les roses qui sont dans le verre, et cependant grand’mère lui sourit avec bonheur, et des larmes lui viennent aux yeux. Pourquoi donc grand’mère regarde-t-elle ainsi la fleur séchée dans le livre de cantiques ? — Veux-tu le savoir ? écoute. Chaque fois qu’une larme de grand’mère tombe sur cette fleur, sa tige se relève, ses couleurs reprennent leur éclat, elle remplit la chambre de son parfum, et alors les murs tombent comme si ce n’étaient que des nuages, et tout autour de