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détourné les écrivains danois des imitations étrangères pour leur ouvrir une source de poésie et de littérature nationales: Œrsted fit de même dans le domaine de la science. Ses leçons et ses livres formèrent toute une école de naturalistes danois qui ne se contentèrent plus de traduire ou de commenter les travaux des savans de l’Europe. Sans compter la gloire qu’ils ambitionnaient de présenter aux autres peuples des livres originaux, n’avaient-ils pas autour d’eux des sujets d’étude qu’ils seraient coupables de négliger : l’histoire des races Scandinaves, la nature et le sol même de la Scandinavie? Ce fut le conseil tout patriotique donné par Œrsted; il engagea ses compatriotes à concentrer leurs observations sur la Scandinavie, d’abord afin de la glorifier en la connaissant davantage, puis sans doute pour que l’école danoise, fortifiée par ces études particulières, se trouvât prête ensuite aux spéculations plus générales. Comme les poètes, les savans se mirent à l’œuvre, et, pendant que les premiers ouvraient les anciennes sagas pour en tirer une littérature originale, géologues et botanistes étudièrent les terrains et la flore Scandinave, en distinguèrent avec précision les différentes zones, et les séparèrent soigneusement de la flore et du sol allemands.

Il était plus difficile de retrouver les traces peut-être effacées des races Scandinaves. Et pourtant n’était-ce pas pour la science danoise le premier problème que de parvenir à démontrer que toute confusion était impossible entre la race allemande et les peuples du Nord? Les Scandinaves retrouvaient dans leurs souvenirs tout un âge héroïque dont la majesté dépassait de beaucoup celle des plus anciennes traditions germaniques. La Germanie n’était qu’un chaos informe qu’agitaient obscurément des guerres intestines ou qui luttait en désordre contre les armes romaines, quand les vikings, partis du Jutland, parcouraient déjà l’Océan et la Baltique en rois de la mer, en souverains des îles, en maîtres redoutés de toutes les côtes de l’Europe occidentale. La Scandinavie n’a pas été, comme on l’a cru, le grand réservoir des peuples envahisseurs du Ve siècle, mais elle a servi d’étape à bon nombre de ces populations dont la barbarie féconde allait être un des élémens de la régénération chrétienne. Les Barbares y sont arrivés portant encore sur le front le cachet mystique et religieux de l’Orient; ils y ont connu le climat et le génie plus sévères des régions occidentales; une partie de leurs tribus en est sortie façonnée pour la civilisation; une autre a accepté ces contrées pour patrie. Retrouver ces lointaines origines, rechercher dans les secrètes combinaisons de la linguistique, dans les runes des rochers, jusque dans les tombeaux et dans les entrailles de la terre toutes les traces, quelles qu’elles soient, de cette transformation mystérieuse, voilà le problème que la science danoise se proposa de résoudre, et à l’attrait duquel peu d’esprits distingués