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l’Italie. J’ai ouï dire qu’autrefois ils étaient généreux : à présent il n’y a que leur défiance qui soit égale à leur avarice.

— Cette défiance, répondis-je, est impardonnable en effet, lorsqu’elle tombe sur un honnête homme comme vous ; mais vous vous trompez : cet étranger est un Américain, et non un Anglais. Que comptez-vous faire d’ici au quatrième jour, à midi moins un quart ?

— Ne m’occuper de cet Américain non plus que du prêtre Jean des Indes.

— Mais il vous interrogera sur vos démarches.

— Eh bien ! je lui répondrai en mettant la chose à si haut prix, que son avarice me débarrassera de sa défiance.

— Et s’il est plus prodigue que vous ne le supposez ? s’il consent à payer la somme fabuleuse que vous imaginerez ?

— Nous aurons le chapitre des contre-temps imprévus.

— Fort bien ; mais s’il s’explique lui-même avec Maria, et s’il découvre que vous n’avez pas même parlé de lui à la jeune fille, le chapitre des coups de bâton pourrait faire suite à celui des contre-temps.

— Un mauvais quart d’heure est bientôt passé.

— Vous avez réponse à tout.

— C’est que je suis philosophe. Un accident futur n’existe pas ; chaque heure suffit à sa tâche ; occupons-nous du présent. Au lieu de courir après le gibier du Tyrol, plaise à votre seigneurie d’observer que dans cette partie de l’Italie sont les plus belles femmes du monde, et que, pendant ces quinze jours de fête, l’envie de s’amuser, de se parer, leur tourne la tête ! Je prie votre excellence de daigner regarder ma carte.

Sur un bout de papier à sucre, je lus ces mots, grossièrement imprimés : Il vero Giuseppe, combinatore di piaceri. — D’où vient, lui dis-je, cette précaution de vous intituler le véritable Joseph ?

— Excellence, le talent a toujours des plagiaires. Je m’appelle bien Joseph, et comme j’ai réussi à me faire une clientèle considérable à Rome, à Ancône et ailleurs, des intrigans sans esprit et sans éducation n’ont pas manqué d’usurper ce nom, que seul j’ai su rendre fameux. Ils prétendent tous s’appeler Joseph, et ils poussent le plagiat jusqu’à se vêtir de la même couleur que moi, et puis, au premier mot qu’ils disent, l’étranger, stupéfait de voir des ignorans et des bélîtres, s’écrie : « Voilà donc ce Joseph dont on vante la politesse et les belles manières ! » Ces méprises sont désolantes, et de là vient que je cherche à dérouter les contrefacteurs. Si votre excellence veut m’employer, je lui montrerai que je suis le véritable Joseph. Aussi utile aux seigneurs cavaliers qu’aux gentilles dames, j’épargne aux uns les poursuites, les recherches, le temps perdu, les factions à la belle étoile, et par consé-