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SCÈNES DE LA VIE ITALIENNE.

L’affiche illustrée du théâtre de Tampicelli annonçait les débuts d’une jeune première de grande espérance, sous le nom de la Marietta, dans la pièce du Re orso, comédie féerique du célèbre poète Carlo Gozzi. Je compris que ce devait être le Roi cerf de Gozzi, dont on avait fait un ours, probablement parce que la troupe ne savait comment représenter un cerf et qu’elle avait une peau d’ours dans son magasin. À l’ouverture du bureau, j’aperçus maître Joseph distribuant des billets à quatre ou cinq vauriens de son espèce au milieu de la place publique. Dans l’intérieur de la salle, je reconnus encore sa redingote jaune sur le dernier gradin des secondes places, d’où il faisait des signes de connivence à d’autres spectateurs de mine patibulaire.

Le Roi cerf est une des meilleures pièces féeriques de Carlo Gozzi. Dérame, roi de Serendippe, le plus aimable et le plus beau prince de l’Orient, cherche une femme sans pouvoir la trouver, car il veut être sûr, avant de se marier, que sa fiancée l’aime véritablement. À cet effet, un magicien de ses amis lui a donné une pagode en bois doré, qui sourit et fait des grimaces lorsqu’une belle, alléchée par la couronne de Serendippe, feint un amour qu’elle ne ressent point. Grâce à ce présent funeste, Dérame, tout charmant qu’il est, court le risque de vivre et de mourir dans le célibat. Quatre cents jeunes filles, qui toutes prétendaient adorer leur monarque, ont déjà subi l’épreuve, et toujours la pagode, placée dans le cabinet du prince, a dénoncé par son rire sardonique l’ambition cachée au fond du cœur et le mensonge des tendres paroles. Une seule personne aime réellement le roi, et précisément parce qu’elle l’aime, elle redoute cet examen que tant d’autres ont recherché. C’est la Vénitienne Angela, fille chérie de Pantalon, ministre des finances. Son tour étant venu de subir l’épreuve, il faut qu’on la traîne de force dans le cabinet du roi. Au lieu des protestations d’amour auxquelles il est accoutumé, Dérame s’étonne de voir cette belle enfant trembler de tout son corps et pleurer à chaudes larmes. La pudeur offensée d’Angela éclate en doux reproches : « Ô mon prince, dit la jeune Vénitienne, quel besoin aviez-vous de m’infliger cette humiliation ? S’il fallait donner ma vie pour vous, j’en ferais le sacrifice ; mais ne pouviez-vous me laisser l’estime de ce monde injuste et cruel qui va m’accabler quand vous aurez publié votre dédain pour moi. Faites au moins que cette épreuve soit la dernière, et que d’autres filles innocentes, d’autres cœurs honnêtes ne soient plus exposés à pareil affront. Permettez ensuite que je retourne dans mon pays pour y cacher ma honte et mon chagrin : c’est la seule grâce que je vous demande. » Dérame regarde la pagode, et, voyant qu’elle ne rit pas, il prend les mains de la jeune fille et lui pose la couronne sur la tête en s’écriant :