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SCÈNES DE LA VIE ITALIENNE.

passion pour ce mendiant, au grand scandale de Tartaglia, qui commence à murmurer des caprices de sa femme.

Sur ces entrefaites, une petite chienne, que la reine aimait beaucoup, vient à mourir en mal d’enfant. La belle Angela s’amuse à exagérer son chagrin ; elle pleure, elle trépigne, elle fait enrager ses femmes et traite son époux comme un valet. Tartaglia en perd la tête. Pour apaiser un moment cette douleur frénétique, il imagine de ressusciter l’animal si regretté, en lui prêtant son ame. Sous la forme de la chienne favorite, il espère aussi obtenir de cette Vénitienne fantasque les caresses qu’elle lui refuse ; mais à peine Tartaglia est-il sorti de son enveloppe royale, que Dérame aux aguets rentre en possession de son corps. Il étrangle la chienne, et raconte à Angela tous les événemens mystérieux qu’elle n’avait pu comprendre, et dont l’enchanteur Durandarto vient confirmer l’explication. Dérame, corrigé de son inquiétude d’esprit, laisse Angela l’aimer à sa guise, et, pour remercier le magicien, il met à la disposition de ce savant personnage sa fortune et son royaume de Serendippe, à quoi répond Durandarto : — « Gouverner n’est pas mon métier. C’est assez de changer les hommes en bêtes et les bêtes en hommes pour divertir l’honorable assistance. Avec la pièce finit mon pouvoir surnaturel ; et vous, messieurs et mesdames, si nos métamorphoses ont eu l’art de vous plaire, accordez par un signe de vos mains à l’enchanteur et au poète la récompense de leurs sortilèges. »

Sauf quelques variantes et le changement du cerf en ours commandé par les difficultés de la mise en scène et l’état du vestiaire, la troupe de Tampicelli représenta exactement ce conte de nourrice écrit en vers blancs. Lorsque Angela, guidée par Pantalon, fit son entrée avec son costume neuf à l’ancienne mode de Venise, sa beauté, sa jeunesse et sa fraîcheur éblouissante produisirent une sensation profonde. Un frémissement de plaisir, plus flatteur que les applaudissemens, parcourut tous les rangs de l’auditoire. Le trouble et l’émotion inséparables d’un début tournèrent au profit de l’actrice, quand la jeune première fut amenée tremblante devant le roi Derame ; mais, au premier vers qu’elle récita, j’entendis cette espèce de chant monotone et cadencé dont on ne sort plus une fois qu’on s’y est engagé. Cette fille, si simple hors de la scène, en prenant le diapason du théâtre, n’avait plus ombre de naturel. Toutes les inflexions se ressemblaient ; le hasard ou la coupe du vers décidait du sens des phrases, dont l’oreille déroutée perdait souvent le fil. Cependant le public, peu difficile, écoutait patiemment, et il n’aurait peut-être pas remarqué l’ennui et le ridicule de ce récitatif, si des gens malveillans ne l’eussent averti. Un bâillement affecté, parti du fond de la salle, excita des rires étouffés. Bientôt une voix de fausset imita les intonations de la jeune pre-