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avec lui du voyage. Il laissait à sa place, comme gouverneur, un de ses lieutenans les plus dévoués, le général Galan. À peine avait-il fait voile vers Santa-Fé, que le mouvement éclatait. Ce sont encore, selon l’habitude, deux militaires, les généraux Piran et Madarriaga, qui en ont pris Tinitiative, en soulevant quelques contingens de Buenos-Ayres et de Corrientes. Le général Galan n’a eu que le temps de battre en retraite. Aussitôt tout ce que le général Urquiza avait défait par son coup d’état du 23 juin s’est reconstitué de soi-même. Les députés proscrits sont rentrés, la presse a retrouvé la parole ; la salle des représentans, précédemment dissoute, s’est rouverte et a délégué le pouvoir exécutif à son propre président, le général Pinto, — après quoi elle a fait un manifeste. Ce qu’il y a de plus clair dans ce manifeste, c’est que le général Urquiza est soupçonné de bien des crimes : il est accusé d’avoir fait fusiller deux cents soldats après la bataille de Monte-Caseros, d’avoir déporté cinq ou six mille citoyens, d’avoir dépouillé Buenos-Ayres de ses armes et de ses munitions pour la laisser sans défense, d’avoir dilapidé les fonds publics, etc., etc. La conclusion naturelle de ce manifeste, c’était un décret qui destituait dès ce moment Urquiza de la direction provisoire de la confédération, au moins quant à Buenos-Ayres. Que faisait cependant le général Urquiza ? Là est le doute encore aujourd’hui, d’autant plus que les faits autorisent les conjectures les plus diverses. D’un côté, Urquiza semble revendiquer par une circulaire aux agens étrangers sa qualité de délégué aux affaires extérieures de la confédération, faisant appel au congrès réuni à Santa-Fé ; de l’autre, il négocie avec le pouvoir nouveau pour la retraite des forces d’Entrerios restées à Buenos-Ayres, ce qui semble impliquer une sorte de reconnaissance de ce pouvoir. De là l’obscurité qui plane encore sur ces événemens. Au fond, quel est le vrai caractère du mouvement de Buenos-Ayres ? Sans nul doute, c’est un mouvement unitaire, libéral. Le nom seul du principal ministre actuel le dit : c’est le docteur Valentin Alsina, qui avait été d’abord ministre avec Urquiza, et qui s’était séparé de lui, quand il avait vu poindre l’ambition du chef militaire. Cependant il y a une cause bien plus réelle et bien plus profonde que le désir d’avoir un régime libéral : c’est que, comme nous le disions récemment, Buenos-Ayres s’est sentie diminuée par les événemens qui se sont succédé depuis un an sur les bords de la Plata ; elle s’est vu enlever son importance politique, ses monopoles commerciaux, sa qualité de province directrice dans la confédération. Peut-être aussi Urquiza a-t-il trop traité la capitale argentine en pays conquis. Tout cela a amené la révolution dernière, qui n’est, de la part de Buenos-Ayres, qu’un suprême effort pour ressaisir son importance, et qui s’est opérée du reste, il faut le dire, avec une sorte d’unanimité, sans nulle effusion de sang. Maintenant, si les autres provinces argentines répondent à l’appel de Buenos-Ayres, il n’est point douteux que le rôle d’Urquiza est fini ; si le dictateur trouve parmi elles au contraire quelque appui, c’est sans doute encore la guerre civile, et la guerre civile, c’est plus que jamais l’arène ouverte aux chefs militaires, en dépit de tous les efforts des unitaires de Buenos-Ayres pour secouer ce joug. On a cru renverser le pouvoir militaire en abattant Rosas, on a eu le général Urquiza ; on vient de renverser Urquiza, ce sera quelque autre général, peut-être un de ceux qui ont dirigé le récent mouvement. La grande erreur de ces peuples est de croire qu’ils détruisent le despotisme en détruisant un homme ; le