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murmurer la sève, ces gradins volcaniques qui montaient jusqu’aux cieux, ce n’était pas un spectacle usé ni un paysage vulgaire. Ce fut dans l’enthousiasme de cette belle soirée que nous fîmes vœu de ne pas revenir sur nos pas tant qu’il resterait un chemin praticable pour nous conduire vers les côtes que baigne l’Océan Austral.

Le régent poussa l’urbanité jusqu’à vouloir assister au repas qu’il nous fit servir ; mais, zélé musulman, il se défendit sans affectation d’y prendre part. Nous étions au temps du carême islamite, et bien que le pouassah ne compte point, parmi les Javanais, beaucoup d’observateurs rigides, les princes.et les grands seigneurs ne voudraient pas manquer cette occasion de montrer au peuple la sainteté de leurs mœurs et la pureté de leur foi. Le régent de Garout voulut donc attendre, pour rompre le jeûne commandé par la loi de Mahomet, le moment où, sans paraître négliger ses hôtes, il pourrait se retirer dans son dalem. La physionomie intelligente de ce prince javanais semblait exprimer le regret de ne pouvoir répondre à nos questions que par l’intermédiaire d’un interprète. Le nom de la France ne pouvait d’ailleurs lui être demeuré inconnu, car des gravures représentant les principales batailles de l’empire figuraient appendues à tous les murs de son palais. Nous avons, on le voit, semé les pages de notre histoire dans le monde entier et rendu nos victoires populaires jusqu’au fond des forêts de l’extrême Orient. Il faut en féliciter et en remercier notre industrie. Voilà du moins un article d’exportation que l’Angleterre ne lui disputera pas !

Vers sept heures du soir, après avoir longuement admiré le diamant noir de Bornéo que le régent de Garout portait au doigt en guise de talisman, nous lui rendîmes enfin sa liberté. Suivi de ses nombreux serviteurs, il se dirigea vers l’aile gauche du palais, occupée tout entière par les appartenons de ses femmes, et bientôt les sons du gamelang nous apprirent que le régent venait d’entrer dans son dalem.

Le lendemain, dès la pointe du jour, nous étions à cheval. Nous devions nous élever sur les flancs du Galoungoun jusqu’à près de six mille pieds au-dessus du niveau de la mer. Un lac sulfureux, le Telaga-Bodas, remplit à cette hauteur le cratère d’un ancien volcan. Là, plus encore qu’au sommet du Megameudong, il nous sembla retrouver le climat du nord de l’Europe. Le chêne, le laurier, les ronces de nos haies, bordaient seuls le chemin que nous suivions. Quand nous arrivâmes sur les bords du lac, il fallut nous envelopper de nos manteaux. Une barque montée par un Javanais nous transporta sur le rivage opposé du cratère. Cette nappe d’eau d’un blanc laiteux sur laquelle erraient d’éternelles vapeurs, ce sol cristallisé qui criait sous nos pas, ces fissures d’où s’échappait une fumée sulfureuse, ce Garon demi-nu qui, appuyé sur sa rame, nous tendait