Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 1.djvu/1029

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

aujourd’hui sa politique sont plus nombreux et plus vifs dans leur langage que ceux qui la défendent. Il est bien des reproches que, pour notre compte, nous serions tentés de lui adresser. En voyant toutefois quelle ardeur la presse allemande et (chose plus étrange) la presse anglaise elle-même apportent dans cette polémique, nous nous demandons où l’on en veut venir et ce que signifie ce déchaînement d’injures, où, à côté de quelques vérités, on voit percer un impitoyable parti pris de dénaturer les faits et de confondre toutes les notions du juste et de l’injuste. Un mémoire récemment mis en lumière par l’organe le plus accrédité de la publicité allemande s’est chargé de nous apprendre que l’Allemagne et notamment l’Autriche auraient le même intérêt que la Russie au partage de l’empire ottoman. Si naïve que soit cette croyance, elle est spécieuse ; mais il serait curieux de savoir si l’Angleterre croit aussi pouvoir se concerter désormais avec l’Autriche et la Russie pour assurer à celle-ci la possession de Constantinople, et si c’est là le secret de ces virulentes déclamations auxquelles le journal le plus important de la Grande-Bretagne se livre depuis quelque temps avec une si étrange complaisance.

Cette polémique, dont la Turquie est en ce moment le point de mire dans une partie de l’Europe, vient de provoquer en Belgique une réponse signée de deux officiers turcs de l’armée ottomane, et qui serait intéressante, si elle avait moins l’empreinte occidentale, si elle portait moins les traces d’une collaboration évidemment européenne. Quoique Rustem-Effendi et Seid-Bey parlent un peu trop comme de simples Belges qui auraient pris le fez pour l’occasion, ils défendent leur pays avec une vive susceptibilité, et au milieu des argumens passionnés à l’aide desquels ils essaient de repousser les attaques dont on l’accable, il en est quelques-uns qui ne manquent pas d’une certaine apparence de raison.

Le meilleur argument toutefois que la Turquie ait à employer contre ses adversaires, c’est de suivre une politique prudente et libérale, prudente au dehors de manière à ne point susciter de conflits ou de questions embarrassantes, libérale au dedans afin que ceux qui peuvent désirer l’affaiblissement de l’empire ne trouvent pas leur principal appui parmi ses populations mécontentes. Ce n’est pas que nous pensions que l’empire ottoman soit aujourd’hui dans un état de danger qui fasse craindre pour son existence. Il n’est pas vraisemblable que la mission du comte de Linange ait le caractère menaçant que les dernières nouvelles de Constantinople semblent lui attribuer. La mission donnée en même temps au prince Menschikoff de venir formuler à la Porte les griefs de la Russie ajoutera sans doute à la gravité de celle de M. de Linange ; mais ce n’est pas la première fois que l’on voit la Russie et l’Autriche animées d’une pareille émulation. La question des réfugiés hongrois et polonais a fourni un spectacle exactement semblable. La situation avait même alors un côté plus fâcheux : à cette époque, l’armée russe occupait la Valachie. Cependant on vint à bout de la difficulté. Il est vrai que la Turquie s’est placée par l’expédition du Monténégro dans une position regrettable vis-à-vis de ses populations chrétiennes ; elle a suscité dans les provinces voisines de ce petit pays une agitation qui offre une occasion favorable aux influences hostiles. Espérons toutefois que la Porte, instruite par les intentions qui percent dans l’attitude de l’Autriche et de la Russie, saura à temps s’entendre