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toutes les insurrections, au moment où son ambassadeur à Londres stipulait avec l’Europe le maintien des traités auxquels il avait attaché son nom. C’était pis encore dans la sphère administrative. Les préfets résistaient aux ministres, et les fonctionnaires députés menaçaient du haut de la tribune les dépositaires du pouvoir de leur retirer le concours d’une popularité dont ils voulaient bien consentir à leur faire une aumône conditionnelle. Fidèles à des habitudes invétérées, ils faisaient des proclamations en style de premiers-Paris, tantôt pour désavouer leurs supérieurs hiérarchiques, tantôt pour blâmer les résolutions législatives. Si l’on montrait quelque fermeté devant l’émeute lorsqu’elle menaçait les palais, on lui laissait le champ libre quand elle se ruait sur les temples. L’on estimait habile de détourner sur Notre-Dame l’orage qui grondait sur le Palais-Royal ; il n’en coûtait point de conjurer le désordre par le sacrilège, et de faire reculer la contre-révolution en évoquant la barbarie. La funeste journée de Saint-Germain-l’Auxerrois sortit de la conspiration des susceptibilités administratives avec les calculs d’un machiavélisme de carrefour. On mesurait son langage et son attitude moins sur l’importance de ses fonctions que sur celles qu’on s’attribuait dans la lutte contre le gouvernement antérieur. Les écoles étaient aussi devenues des puissances politiques ; on les flattait et l’on traitait de pair avec elles, heureux lorsque les étudians ne repoussaient pas avec dédain les remerciemens qui leur étaient votés par les chambres ! Les passions qui hurlaient sur la place publique étaient moins menaçantes et moins immorales que les égoïsmes hautains par lesquels s’énervaient tous les pouvoirs. Les périls étaient partout, dans les hommes comme dans les choses ; le courage, le dévouement, la résolution, ne commençaient à poindre nulle part.

Cependant la misère, inséparable compagne de toutes les révolutions, grandissait à pas de géant au milieu de l’anarchie qui semblait porter dans ses flancs la banqueroute et la guerre. Le luxe avait suspendu ses commandes, l’industrie ses travaux ; les ateliers étaient vides, et pour oublier la faim assise à son foyer, l’ouvrier courait s’enivrer du tumulte de la place publique. Les éloges intéressés prodigués à son héroïsme contrastaient douloureusement avec des privations rendues plus poignantes encore par ces glorifications journalières. Sous la double inspiration de son orgueil et de ses souffrances, il se livrait à ceux qui promettaient de lui payer le prix de son sang stérilement répandu en juillet pour la patrie comme pour lui-même. Aussi les sociétés secrètes allaient-elles se grossissant d’heure en heure de ces recrues ameutées par l’espérance et par la faim ; elles minaient le sol sous les pas d’un pouvoir qui n’osait ni s’asseoir ni s’affirmer, et devant cet abandon de lui-même, on pouvait calculer