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la religion, après avoir applaudi pendant soixante ans aux railleries de l’incrédulité et aux sarcasmes de l’ironie. Mais oublions ces excès en sens contraire, et dans le mouvement religieux de notre siècle ne regardons que son principe essentiel et son développement légitime. Eh bien ! j’affirme que s’il est peu digne d’un philosophe de s’étonner d’un phénomène si naturel, il le serait moins encore de s’en affliger. Pour peu, en effet, qu’on réfléchisse à cette impulsion irrésistible qui emporte les nations modernes dans les voies de la démocratie, comment ne pas comprendre que le sentiment religieux, indispensable à toute société, est devenu plus particulièrement nécessaire à la nôtre ? Dans un temps et dans un pays où toutes les anciennes barrières sont renversées, où chaque individu, pouvant tout espérer, désire tout, la société a besoin, pour ne pas tomber en poussière, de ce ciment spirituel que le christianisme établit entre les âmes, et c’est pourquoi son action tutélaire sera respectée et bénie de tous, à cette seule condition de n’être intolérante ni oppressive pour personne.

Reste à expliquer maintenant que des esprits accoutumés à regarder au fond des choses se soient persuadé qu’il y a une opposition radicale entre le mouvement religieux de la société et son mouvement philosophique. Pour achever de confondre cette hypothèse, examinons quel a été depuis soixante ans le caractère de la philosophie contemporaine. L’Europe a vu naître et se développer de nos jours deux grands systèmes de spéculations philosophiques, celui de l’Allemagne et celui de la France. Je les distingue fortement l’un de l’autre, et en même temps je soutiens qu’à des titres différens et à des degrés divers ils expriment tous deux un même phénomène moral : — savoir, la renaissance du spiritualisme en philosophie.

Le mouvement germanique a parcouru toutes ses phases ; on en connaît le commencement, le milieu et la fin ; il est possible de l’embrasser dans son ensemble et de le juger. Je dis que c’est un mouvement d’origine spiritualiste, et j’avoue que l’assertion paraîtra contestable, si on regarde où il vient d’aboutir ; mais voyons d’abord par où il a commencé. Plaçons-nous par la pensée aux premières années du XIXe siècle, au moment où disparaît Kant. En quel état laissait-il la philosophie ? Il faut, pour le savoir, comparer ce qu’il avait fait avec ce qu’il avait voulu faire. Son ambition était immense. Il niait sans réserve toute la philosophie du passé. Pour lui, Aristote et Platon, Descartes et Leibnitz, n’avaient pas sur le système généra] des êtres des idées plus justes que celles des meilleurs astronomes avant Copernic sur le système particulier du monde physique. Kant croyait avoir découvert le vrai rapport, jusqu’à lui inconnu, de l’esprit humain avec les choses. L’esprit humain dans sa théorie était