Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 1.djvu/1175

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
1169
ADELINE PROTAT.

vous ai fait signe de vous taire tantôt, quand vous disiez à votre apprenti que c’était moi qui l’avais secouru, c’est qu’il était nécessaire de lui laisser cette croyance que c’était à vous qu’il était redevable de ce secours. Vous avez pu voir de quelle façon il vous a montré sa reconnaissance, et vous n’avez pas oublié les promesses qu’il vous a faites sur sa conduite future. Il ne les oubliera pas, j’en suis certain, pas plus que vous n’oublierez vous-même celles que vous faisiez tantôt.

— À qui ai-je promis quelque chose, et qu’est-ce que j’ai promis ? demanda le sabotier, un peu étonné ou du moins feignant de l’être.

— Cette promesse, reprit Lazare sans s’émouvoir, c’est à vous-même que vous la faisiez, quand vous avez pensé que vous n’étiez peut-être pas étranger à la tentative de Zéphyr, et que vous vous êtes senti oppressé comme par une espèce de remords qui s’est éloigné de vous à mesure que le gamin revenait à la vie. Si j’ai deviné ce qui se passait dans votre pensée, père Protat, c’est que vous avez plus de franchise que vous ne le supposez, et que si vous taisez quelquefois vos impressions, sans que vous ayez besoin de parler, qui veut les connaître peut les lire couramment dans votre physionomie. C’est précisément à cette lecture que je me livrais tantôt quand vous teniez Zéphyr entre vos bras, et c’est alors que j’ai pu comprendre que vous vous promettiez à l’avenir d’être plus patient, plus doux que par le passé avec ce pauvre garçon, dont le chagrin devait être bien lourd, puisqu’il ne se sentait pas la force de le porter plus longtemps. Était-ce bien cela ? demanda Lazare en terminant.

Protat ne répondit pas à haute voix, mais il inclina deux ou trois fois la tête en signe d’assentiment. Après un court silence, relevant les yeux qu’il avait tenus baissés, il dit au peintre : — Alors, monsieur Lazare, c’est aussi votre avis que Zéphyr…

— Quoi ? demanda celui-ci.

— Eh bien donc ! dit le sabotier en faisant le geste d’un plongeon, que c’est à cause… enfin parce qu’il se trouvait mal à la maison ?…

— Eh parbleu ! en doutez-vous maintenant ?… Quel autre motif lui supposeriez-vous donc ?

— C’est vrai… Aussi je le ménagerai, bien vrai.

— Ce qui vous sera d’autant plus facile, reprit Lazare, rappelant avec insistance les conventions de la matinée, que, pendant deux ou trois mois qu’il va m’appartenir, je le maintiendrai dans les bonnes dispositions qu’il paraît avoir de son côté, et que je vous le rendrai parfaitement assoupli.

— Mais, demanda tout à coup le sabotier en abordant une autre idée, ne trouvez-vous pas un peu drôle que ce soit justement le jour